J’en
peux plus je ressasse je m’empoisonne je bouillonne de rêves
inassouvis comme des bulles qui veulent crever a la surface qui
cherchent le chemin. Je cherche depuis presque 2 ans maintenant à
reprendre mon souffle. J’ai l’impression d’être retenu de
toutes parts comme par des sangles, c’est le monde c’est la
France c’est mes parents… Qu’est-ce que j’ai mais putain mais
qu’est ce que j’ai… Pourtant j’ai des costumes des belles
chaussures un appartement pas mal dans le 3ème, je gagne 2700 euros
par mois aux dernières nouvelles.
Ah
putain qu’est ce que je n’en peux plus. De cette solitude de cet
empoisonnement… C’est comme si j’étais hors de la vie. Je ne
vois pas le soleil, le jour passe et je ne l’ai pas vu. Je n’ai
vu aucune fille, je n’ai rien appris. Je me suis débattu tout
petit dans un coin minuscule du monde, dans un bureau avec des
collègues de bureau et des intrigues minuscules.
J’ai
peur d’être fou. Je recherche la vérité. Je pense à la vérité
tout le temps, pour quoi je suis là dans le monde qu’est ce qu’on
fait ici, c’est quoi le sens ? Je pense à la Bible,
j’essaie de pas y penser parce que je suis tout seul, je sais que
les fous ils ont des délires mystiques, les autres, les collègues,
ils me voient comme un être étrange, fou ils disent parfois, ils
m’écoutent un peu, ils sourient, ils haussent les épaules, ça ne
les intéresse pas, ce qui les intéresse c’est que y ait pas trop
de vagues…
Je
me sens si seul, dépossédé, déraciné, déstructuré… C’était
si bon le temps de l’école, le rythme lent des années scolaires,
des boums de fin d’année et des filles qui brisent le cœur.
C’était vrai.
Si
prêt du but… 2700, 2800 euros par mois… Notre bureau déménagera
en Belgique vers mai-juin… J’aurai un appartement avec un écran
plat et un fauteuil club… Je serai gentil, je rencontrerai une
gentille fille, une étudiante…
C’est
important pour moi d’être là. Ca me fait souffrir mais c’est
provisoire. C’est important car je me vois à ma place dans la
société : porter un costume, des belles chaussures, pouvoir
être fier de dire quel est mon travail si je dois en parler à une
inconnue… Le problème c’est que j’en rencontre jamais des
inconnues. J’ai pas le temps je finis à 20h le soir, je suis
exténué, je connais personne qui m’ouvre des horizons, je pense
plus qu’à bouffer et aller dormir. Et je m’écrase comme un
bourgeois que je déteste être alors. J’ai la haine contre les
filles, contre les gens, contre tout et tout le monde, cette ville de
Paris me fait gerber, elle et ses cochonneries de trottoirs, ses
putains de journaux colporteurs de cochonnerie qui excitent la
populace, ses publicités partout, tous ces gens qui ne pensent qu’à
s’amuser, qui vivent pour de faux, pour s’amuser, qui vivent sans
aventure. Cela est inexistant, ça me revient dans la gueule à
chaque fois que je tente une sortie moi l’assiégé, je n’en peux
plus. De faire semblant à ce point.
Cela
fait bientôt 2 ans que je n’ai plus connu les bras d’une fille…
2 ans… J’ai 26 ans. J’ai honte, j’ai très honte de ça. De
ne pas être un parisien gagneur avec des bouclettes et une peau de
bébé. Je me sens vieux, nul. Je me sens laid, lourd,
j’ai honte. Je perds mes cheveux, j’ai le teint blafard comme
Monte-Cristo. J’ai plein de colère, les autres j’ai envie de les
écraser dans ma colère, eux et leurs mensonges, eux et leur
tolérance, leurs affiches de la déclaration des droits de l’homme
chez eux et leurs 300 euros par jour de marge sur le cul d’un type
qui a peut être des gosses à élever. J’ai envie d’être
différent d’eux. Ce serait plus confortable de vivre
tranquillement, moins aux aguets. Mais ils prennent toute la place,
leurs egos prennent toute la place, et moi je suis expulsé du rang,
compressé puis giclé au dessus, comme un joint de caoutchouc
savonné.
Je
ne sais plus quoi dire à mes parents. Je crois que je leur en veux.
Je leur en veux d’être vieux et divorcés, de vieillir seuls dans
leurs coins comme ça dans des petites parties du monde. Je leur en
veux de ne pas avoir tenu mieux que ça le foyer dans lequel mon
frère et moi avons grandi. A ma mère qui laissait tout en bordel,
qui bouffait grossissait et bouillonnait de haine absurde contre mon
père. A mon père qui laissait faire, permissif, qui laissait le
bateau couler, mais qui contre moi était d’une extrême sévérité
sur tout ce qui touchait au « comportement ». Il fallait
que je comprenne que je gêne les autres. Mais les autres, par
exemple les racailles, leurs pères leur ont au contraire dit de ne
pas se laisser marcher sur les pieds. Résultat dans ma vie d’adulte,
dans la « société » : moi si je disais ma vérité
je serais un raciste dégueulasse, eux s’ils disaient leur vérité
ils seraient des jeunes gens attachants et spontanés. J’en suis
là.
J’en
souffre tant de ce monde du travail, de cette France qui s’en va,
surtout de ce monde du travail, de ce fric qu’il faut aller
chercher sinon plus jamais c’est sûr cette fois les filles ne me
regarderont, ne me feront croire à leur flatteries, comme ces
« sache
toujours quoi qu’il arrive que tu en vaux la peine »
qu’elles ont donnés à des beaux gosses qui n’avaient besoin de
rien, quand on avait dans les 18 ans, quand c’était maintenant ou
jamais, quand il fallait être le premier pour pourrir leurs ventres
parce que après ce serait trop tard, ce serait déjà passé.
C’est
pas une vie de littérature que je veux, une vie d’intello, une vie
de type bloqué par l’intellect. Ce que je veux c’est un peu
d’intellect, un peu d’aventure. L’amour et la violence. Le
ballet de danse classique et le virage Boulogne avec les hooligans.
J’aime les deux autant. Moi le métis né le cul entre deux
chaises. Je suis le gentilhomme et le voyou. Pas que le gentilhomme,
pas que le voyou. Les deux.
C’est
tellement affreux de ne connaitre personne. Ce sentiment de devoir se
modérer au point de ce que l’on déteste pour pouvoir être
socialement acceptable, accepté, et alors enfin de rencontrer des
gens. Il faut être lisse, comme ca on a pas d’emmerdes au travail,
comme ca c’est pas répété au manager, comme ça il a pas trop de
billes dans sa musette pour te virer en cas de problème. J’aimerai
tant connaitre des gens avec qui je peux parler de tout. Ne plus
avoir cette épée de Damoclès dans les discussions, toujours se
cacher, et puis rentrer chez soi seul, s’enterrer pour la nuit,
plus que jamais loin du beau jour.
J’ai
peur d’être fou de couver un truc, des symptômes. J’ai peur
aussi remarque d’être malade au moindre truc. Vache folle,
sclérose, anémie…
Je
suis complètement rempli et
complètement vide.
Mon assiette est remplie, je ne connais pas la faim depuis des
années. Mon compte en banque est rempli, mon agenda est rempli pour
ne pas que je m’ennuie, ma liste de choses à acheter est remplie,
tout ça c’est rempli… Mais au fond je me sens vide, je tourne à
vide, je me branle à vide, je rêvasse a vide, je m’invente une
vie loin de la vie, à vide… C’est comme une prison. Je ne
rencontre même pas une fille, même pas de nouvelles personnes, mais
je pense lorsque viens l’anxiété, à je ne sais quel sens
métaphysique, théologique, bon sang puisque je ne vis pas je me
demande ce qu’est la vie.
Je
me suis endurci terriblement pour rester dans le train en marche.
Peut-être qu’en bataillant fort je monterai en grade et qu’elles
me regarderont… Et sur facebook toutes les filles du primaire, du
collège et du lycée qui m’ont « ajouté comme ami »
et auxquelles je rêvais à l’époque pour la plupart, peut être
qu’un jour elles verront mon nom quelque part et elles se diront
« ah tiens oui celui là… Ah il fait ça maintenant ?
Tiens et si je le contactais… » Ce serait ma victoire. Je
veux de leur mains recevoir cette légion d’honneur que j’ai
désiré toute ma jeunesse, à m’en tordre les mains, être
confirmé, être adoubé par elles, et que ça se sache, à la face
du monde, que tous, tous les autres dans la cour, qu’ils le voient.
Je veux qu’elles me voient en voyou-gentilhomme, en ce que je suis
vraiment mais n’ai été que trop rarement, trop subrepticement,
éclipsé par la lourdeur, les parents, les responsabilités, les
comptes a rendre sur mon « comportement » qui revenaient
à la charge… Je veux qu’elles me voient en je ne sais quel type
qui sort du lot, impétueux, étonnant, assurément fait d’une
autre rage que celle, lisse, des beaux gosses. Qu’elles me voient
en je ne sais quel voyou érudit, méchant et sensible, gentil et
fier, qui a produit une œuvre littéraire, picturale, qui s’est
illustré dans des domaines physiques, qui dégage comme ça l’idée
de l’homme « bon en tout » comme ces types qui sortent
de West Point, forces de la nature tout autant capables de faire le
parcours du combattant que de réciter Eschyle dans le texte.
Je
me sens si blessé, comme sali, souillé, par ce mode de vie indigne,
sans rêve. J’ai si mal à l’idée de retourner travailler
demain, à l’idée de ressasser les mêmes angoisses, les mêmes
complexes de culpabilité, les mêmes anxiétés de symptôme pour
les mêmes superstitions, les mêmes états d’âme, les mêmes
inadaptations. Je n’ai personne a qui parler je dois être
performant a tout moment, que fort, que sûr, rien d’autre. Je n’en
peux plus de ça. J’ai sous-estimé les aléas, j’ai sous-estimé
que l’on ne peut pas faire un schéma de sa vie, l’appliquer puis
le vivre comme si c’était innocent. Il faut accepter de jouer le
truc, presque comme aux dés. Cette terrible phrase au début du film
No Country for Old Men. Que l’on ne maitrise pas tout, que la
raison trouve ses limites, qu’on ne peut pas tout intellectualiser,
pas tout contrôler contrairement à ce qu’on nous répète tous
les jours dans ce boulot que je fais. Que y a une grande part
d’incertitude, et qu’on y est soumis, complètement, totalement,
et qu’on ne fait pas les malins.
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