Fin
Aout, quelques jours de libre avant la reprise. Sur un coup de tête
je décide d’aller voir Anne. Billet retenu, et dix-sept heures
plus tard un 767 de Air Canada se pose à
Montréal et j’en descends, vais poser mes affaires dans une sorte
d’hôtel miteux, « cheap and shitty », puis ressors
direction l’école maternelle ou Anne travaille. Epuisé, jetlagué,
elle ne m’attend pas, je ne l’ai pas prévenue, elle ne sait pas
même que je sais qu’elle bosse là. Pour aller la
trouver il faut passer à pied le long de dizaines de rues
résidentielles, ces rues longues et droites bordées de platane
comme dans « American Beauty ». De charmants coins pour
élever des enfants. Finis comme ça par me paumer, et demande ou est
la maternelle à une femme dans un jardin, une maman blanche élancée
et blonde qui ressemble à Naomi Watts, entourée de trois enfants
blonds. Elle m’explique le chemin en français.
Enfin
tout au bout d’une énième avenue « American Beauty »
voici la maternelle... Et en face voilà un petit parc avec des jeux,
un parc peuplé d’enfants qui crient et qui courent, et au milieu
des enfants se tiennent des « maîtresses » qui les
surveillent, et l’une des maîtresses je la reconnais c’est Anne.
Elle finit par me voir de loin, de l’autre côté de la rue comme
ça, elle s’approche en plissant les yeux, elle vient... Cela fait,
on va dire « un certain temps » que j'attends ce moment.
Voilà elle est là. « C’est toi ? » qu’elle
demande...
On
passe une soirée ensemble à boire des bières chez elle sur sa
terrasse, et le vent du soir souffle doucement. Elle est gaie, elle
parle à sa façon avec des sortes de miaulement « mon paère...
sâitne-Catherine... chez noûs, chez voûs, miaou... tu
m’écoutes-tu ? »... Non j’écoute pas, je la regarde
ma American Beauty, peut être pour la dernière fois car elle
s’apprête à emménager avec un type de 39 ans qui a une tronche
de Brad Pitt, et qu’est en photo partout sur les murs de sa
chambre, et qu’a une bonne « situation »
apparemment... C’est comme ça, c’est trop tard, « et
puis voilà, et puis tant pis ». Je donnerais tout ce que j’ai
pour qu’elle soit avec moi, mais je ne lui dis pas, ça ne se dit
pas ces choses là, mais elle a compris sûrement...
Tard
en la quittant, dans la rue elle m’appelait encore depuis son
balcon pour que je me retourne. Ai marché droit, et au coin de la
rue ai commencé à pleurnicher un peu puis à franchement chialer
parce que plus jamais je ne la reverrais maintenant. Comme ça sans
interruption de « Snowdon » à « Vendôme ».
Elle s’en va Anne la Nouvelle-France la Terre Promise elle s’en
va la fille normale vers la vie normale.
La
vie normale oui, un vrai travail dans un vrai pays, avec des amis et
une « relation stable ». Et puis un agréable
« lifestyle ». Les matchs de hockey dans un stade de
21 000 places, les vacances en Jamaïque les weekends aux USA,
les rues proprettes où élever des gosses... J’irai moi
jamais voir tout ça. J’irai en « Europe » ils
appellent ça. J’irai faire des 8 à 6 dans un bureau, faire le
« commercial » et paumer là tous mes cheveux dans les
soucis, faire le courtisan obséquieux engoncé vendeur de
« solutions personnalisées » dont personne ne veut,
c’est la crise pis c’est tout. Ca paiera le loyer. Et là
j’aurais « réussi » admirablement. Occuper un logement
correct, bosser dans un truc détestable, bouffer et boire, agiter sa
queue, la liberté quoi...
On
cherche ce qu’on n’a pas. J’ai jamais eu de « copine »
moi, comme les gens ont, jamais. Une nana qu’on est pote avec qu’on
baise avec qu’on est associé avec... Connais rien de ça, non.
C’est fort possible que je finisse ma life tout seul, comme tant
d’autres chez eux dans leur bulle, qui ont des « trucs pas
réglés ».
Y
a des gens ça existe, ils n’ont pas la grâce et puis c’est
tout. J’en connais quelques uns. Certains mêmes c’est des grands
types athlétiques beaux gosses et tout... pas moi du tout. Et
pourtant les types sont au fond du trou, ils dépriment, ils s’aiment
pas, ils voient tout de travers, il leur arrive que des déceptions.
C’est comme une damnation.
Espérer
ne change rien, c’est pour les cocus pour les cons d’espérer. Y
a rien qui va changer. Houellebecq a fait le boulot on va pas le
refaire... Y a des gens ils sont pas appelés voilà
tout. Ils ont beau se débattre, se calmer,
accélérer, persévérer, abandonner, beau se dire que « ça
viendra »... non ça ne vient pas, et les années passent et
les chemins se séparent et bientôt de tout cela il ne reste rien,
rien. Je sais ça moi, c’était pour ça la chialance en quittant
Anne. La pire des choses c’est d’espérer. C’est ça qui
maintient tout raidi, coercisé, mi-sage « dans l’espoir
de... ». C’est la plus immonde concession, d’espérer.
Espérer « rencontrer quelqu’un » comme c’est marqué
dans Muteen. Qu’il se passe un truc... Va rien se passer
du tout, gros. Ceux qui sont appelés à ça y a des indices qui
sont disséminés... Déjà ils ont tous leurs cheveux. Des relations
sexuelles satisfaisantes avec des meufs satisfaisantes. Une sorte de
confiance en l’avenir. Un bon niveau d’études. Au moins une
relation longue au compteur. Ils ont tout ça. Les autres ils
espèrent, ça fait du bien... Croient qu’une nana « normale »
ça finit bien par se trouver... Une nana normale c'est-à-dire
sérieuse, jolie, soignée, prévenante, désireuse d’avoir des
enfants. Une nana normale c’était Anne je le sais moi, et des
comme ça y en a deux ou trois dans une vie et encore... et encore
quand on a une bonne situation, et qu’on est de bonne humeur, et
qu’on a tous ses cheveux, et qu’on a du temps devant soi ce jour
là, et les traits pas trop avachis, et puis les factures à jour et
la bagnole validée au contrôle technique, et la conversation
riante, et pas trop de névroses (sinon « fuyez ! »),
et puis les fringues et la grâce et le loto et le ciel bleu et la
chemise repassée et l’érection et la stature et puis tout... La
« fille normale » c’est pas donné...
Mais
par contre cher ami qui espère, si tu veux bien descendre un peu tes
standards (on appelait ça « to manage the client’s
expectations » dans mon ancien taf) alors sois certain que le
dicton « une de perdue, dix de retrouvées » s’avèrera
exact. Dix si ce n’est plus... En effet la fille normale ça se
trouve pas comme ça par contre la pouilleuse, la bâclée, la
qui-sert-à-rien, la qui-cherche-du-fun, la traînarde, la
sans-respect, ça pas de problème. Ca tu peux espérer, ah oui,
tranquillement. Y en a plein. Y a que ça. D’ailleurs c’est bien
simple plus on espère et plus on en rencontre, des comme ça.
Espérer c’est cheap and easy, et ça fait rencontrer des
meufs cheap and easy qui parlent mal qui se tiennent mal
qui embrassent mal qui sucent mal. ..
Dimanche
j’en étais là de mes réflexions, observant des écureuils sur
les pelouses dans un parc lorsque Anne m’appelle, et on passe
l’aprème ensemble dans un autre parc au soleil. On boit des
bières, on rigole... Je pensais qu’on se verrait plus. Un truc est
très appréciable chez elle : c’est une
fille « tolérante » mais à qui on ne la fait pas. Elle
est très consciente de faire partie de la « race »
caucasienne, de la minorité francophone, tout ça... Elle m’étonne
par certains propos très avisés sur ses gènes qu’elle sait
récessifs, sur certaines masses d’immigration récentes en
provenance d’Afrique qui débarquent et ne foutent rien, pompent le
fric des subventions et réclament davantage... Oui, elle a cette
fibre « gardienne de la maison ». Et puis elle est gaie,
coquette et jolie pourtant elle ne se la joue pas du tout, elle a de
la conversation, et de belles manières, une façon élégante de se
tenir et de parler. Vraiment je la contemple. Faut pas. Faut toujours
être « moins amoureux » qu’une fille. A HK j’étais
le « moins amoureux ». Et elle m’adorait et elle
m’appelait dix fois par jour, me présentait à ses parents se
mettait dans tous ses états quand je refusais de dormir chez elle...
C’était avant. Faut croire que je suis sur une pente de déclin.
Agréable
après-midi, passée en un clin d’œil. Et puis il a fallu quitter
tout ça, rentrer, prendre l’avion et bosser.
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