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mardi 18 août 2015

03.09.2010 - Fille normale



Fin Aout, quelques jours de libre avant la reprise. Sur un coup de tête je décide d’aller voir Anne. Billet retenu, et dix-sept heures plus tard un 767 de Air Canada se pose à Montréal et j’en descends, vais poser mes affaires dans une sorte d’hôtel miteux, « cheap and shitty », puis ressors direction l’école maternelle ou Anne travaille. Epuisé, jetlagué, elle ne m’attend pas, je ne l’ai pas prévenue, elle ne sait pas même que je sais qu’elle bosse là.  Pour aller la trouver il faut passer à pied le long de dizaines de rues résidentielles, ces rues longues et droites bordées de platane comme dans « American Beauty ». De charmants coins pour élever des enfants. Finis comme ça par me paumer, et demande ou est la maternelle à une femme dans un jardin, une maman blanche élancée et blonde qui ressemble à Naomi Watts, entourée de trois enfants blonds. Elle m’explique le chemin en français.

Enfin tout au bout d’une énième avenue « American Beauty » voici la maternelle... Et en face voilà un petit parc avec des jeux, un parc peuplé d’enfants qui crient et qui courent, et au milieu des enfants se tiennent des « maîtresses » qui les surveillent, et l’une des maîtresses je la reconnais c’est Anne. Elle finit par me voir de loin, de l’autre côté de la rue comme ça, elle s’approche en plissant les yeux, elle vient... Cela fait, on va dire « un certain temps » que j'attends ce moment. Voilà elle est là. « C’est toi ? » qu’elle demande...

On passe une soirée ensemble à boire des bières chez elle sur sa terrasse, et le vent du soir souffle doucement. Elle est gaie, elle parle à sa façon avec des sortes de miaulement « mon paère... sâitne-Catherine... chez noûs, chez voûs, miaou... tu m’écoutes-tu ? »... Non j’écoute pas, je la regarde ma American Beauty, peut être pour la dernière fois car elle s’apprête à emménager avec un type de 39 ans qui a une tronche de Brad Pitt, et qu’est en photo partout sur les murs de sa chambre, et qu’a une bonne « situation » apparemment... C’est comme ça, c’est trop tard, « et puis voilà, et puis tant pis ». Je donnerais tout ce que j’ai pour qu’elle soit avec moi, mais je ne lui dis pas, ça ne se dit pas ces choses là, mais elle a compris sûrement...
Tard en la quittant, dans la rue elle m’appelait encore depuis son balcon pour que je me retourne. Ai marché droit, et au coin de la rue ai commencé à pleurnicher un peu puis à franchement chialer parce que plus jamais je ne la reverrais maintenant. Comme ça sans interruption de « Snowdon » à « Vendôme ». Elle s’en va Anne la Nouvelle-France la Terre Promise elle s’en va la fille normale vers la vie normale.

La vie normale oui, un vrai travail dans un vrai pays, avec des amis et une « relation stable ». Et puis un agréable « lifestyle ». Les matchs de hockey dans un stade de 21 000 places, les vacances en Jamaïque les weekends aux USA, les rues proprettes où élever des gosses... J’irai moi jamais voir tout ça. J’irai en « Europe » ils appellent ça. J’irai faire des 8 à 6 dans un bureau, faire le « commercial » et paumer là tous mes cheveux dans les soucis, faire le courtisan obséquieux engoncé vendeur de « solutions personnalisées » dont personne ne veut, c’est la crise pis c’est tout. Ca paiera le loyer. Et là j’aurais « réussi » admirablement. Occuper un logement correct, bosser dans un truc détestable, bouffer et boire, agiter sa queue, la liberté quoi...
On cherche ce qu’on n’a pas. J’ai jamais eu de « copine » moi, comme les gens ont, jamais. Une nana qu’on est pote avec qu’on baise avec qu’on est associé avec... Connais rien de ça, non. C’est fort possible que je finisse ma life tout seul, comme tant d’autres chez eux dans leur bulle, qui ont des « trucs pas réglés ».
Y a des gens ça existe, ils n’ont pas la grâce et puis c’est tout. J’en connais quelques uns. Certains mêmes c’est des grands types athlétiques beaux gosses et tout... pas moi du tout. Et pourtant les types sont au fond du trou, ils dépriment, ils s’aiment pas, ils voient tout de travers, il leur arrive que des déceptions. C’est comme une damnation.

Espérer ne change rien, c’est pour les cocus pour les cons d’espérer. Y a rien qui va changer. Houellebecq a fait le boulot on va pas le refaire... Y a des gens ils sont pas appelés  voilà tout.  Ils ont beau se débattre,  se calmer, accélérer, persévérer, abandonner, beau se dire que « ça viendra »... non ça ne vient pas, et les années passent et les chemins se séparent et bientôt de tout cela il ne reste rien, rien. Je sais ça moi, c’était pour ça la chialance en quittant Anne. La pire des choses c’est d’espérer. C’est ça qui maintient tout raidi, coercisé, mi-sage « dans l’espoir de... ». C’est la plus immonde concession, d’espérer. Espérer « rencontrer quelqu’un » comme c’est marqué dans Muteen. Qu’il se passe un truc...  Va rien se passer du tout, gros. Ceux qui sont appelés à ça y a des indices qui sont disséminés... Déjà ils ont tous leurs cheveux. Des relations sexuelles satisfaisantes avec des meufs satisfaisantes. Une sorte de confiance en l’avenir. Un bon niveau d’études. Au moins une relation longue au compteur. Ils ont tout ça. Les autres ils espèrent, ça fait du bien... Croient qu’une nana « normale » ça finit bien par se trouver... Une nana normale c'est-à-dire sérieuse, jolie, soignée, prévenante, désireuse d’avoir des enfants. Une nana normale c’était Anne je le sais moi, et des comme ça y en a deux ou trois dans une vie et encore... et encore quand on a une bonne situation, et qu’on est de bonne humeur, et qu’on a tous ses cheveux, et qu’on a du temps devant soi ce jour là, et les traits pas trop avachis, et puis les factures à jour et la bagnole validée au contrôle technique, et la conversation riante, et pas trop de névroses (sinon « fuyez ! »), et puis les fringues et la grâce et le loto et le ciel bleu et la chemise repassée et l’érection et la stature et puis tout... La « fille normale » c’est pas donné...

Mais par contre cher ami qui espère, si tu veux bien descendre un peu tes standards (on appelait ça « to manage the client’s expectations » dans mon ancien taf) alors sois certain que le dicton « une de perdue, dix de retrouvées » s’avèrera exact. Dix si ce n’est plus... En effet la fille normale ça se trouve pas comme ça par contre la pouilleuse, la bâclée, la qui-sert-à-rien, la qui-cherche-du-fun, la traînarde, la sans-respect, ça pas de problème. Ca tu peux espérer, ah oui, tranquillement. Y en a plein. Y a que ça. D’ailleurs c’est bien simple plus on espère et plus on en rencontre, des comme ça. Espérer c’est cheap and easy, et ça fait rencontrer des meufs cheap and easy qui parlent mal qui se tiennent mal qui embrassent mal qui sucent mal. ..

Dimanche j’en étais là de mes réflexions, observant des écureuils sur les pelouses dans un parc lorsque Anne m’appelle, et on passe l’aprème ensemble dans un autre parc au soleil. On boit des bières, on rigole... Je pensais qu’on se verrait plus. Un truc est très appréciable chez elle : c’est une fille « tolérante » mais à qui on ne la fait pas. Elle est très consciente de faire partie de la « race » caucasienne, de la minorité francophone, tout ça... Elle m’étonne par certains propos très avisés sur ses gènes qu’elle sait récessifs, sur certaines masses d’immigration récentes en provenance d’Afrique qui débarquent et ne foutent rien, pompent le fric des subventions et réclament davantage... Oui, elle a cette fibre « gardienne de la maison ». Et puis elle est gaie, coquette et jolie pourtant elle ne se la joue pas du tout, elle a de la conversation, et de belles manières, une façon élégante de se tenir et de parler. Vraiment je la contemple. Faut pas. Faut toujours être « moins amoureux » qu’une fille. A HK j’étais le « moins amoureux ». Et elle m’adorait et elle m’appelait dix fois par jour, me présentait à ses parents se mettait dans tous ses états quand je refusais de dormir chez elle... C’était avant. Faut croire que je suis sur une pente de déclin. Agréable après-midi, passée en un clin d’œil. Et puis il a fallu quitter tout ça, rentrer, prendre l’avion et bosser.

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