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mardi 18 août 2015

27 juin 2011 - B comme Bosser à Macdo

B comme Bosser à Macdo

Actu — Article écrit par Lounès le 27 juin 2011 à 2 h 05 min
Il importe à l’homme total, à l’homme véritablement affranchi de la « morale de l’esclave » de savoir comment l’on fabrique les Big Mac. Voici :
1) Le manager dit « Un mac oké ? ». Répondre alors bien fort « un mac oké ».
2) Prendre un « pain mac » dans le bac plastifié, le séparer en trois parties, enfourner chaque partie dans les trois compartiments du grille-pain, fermer le grille-pain (ce qui enclenche un compte à rebours).
3) Se retourner, enfiler le gant transparent et attraper dans le bac surgelé deux patties 45 (les patties 45 vont dans les Big Mac, à ne pas confondre avec les patties 100 qui vont dans les Royal Cheese).
4) Ouvrir la plaque de cuisson, disposer les patties, fermer la plaque (ce qui enclenche un compte à rebours) et se débarrasser du gant sans en toucher l’extérieur afin qu’il reste « stérile ».
5) Si tout a été fait dans les temps, le bipeur du grille-pain sonne exactement maintenant. Se retourner et ouvrir le grille-pain (ce qui stoppe le bipeur). Sortir les tranches de pain et les disposer sur un plateau que l’on placera sur l’atelier « garniture ».
6) Procéder vite à la garniture adéquate : 2 shoots de sauce avec le pistolet à sauce (« clic clic »), puis utiliser les ingrédients dans les « gastros » (compartiments gastronomiques) :  2 pincée d’oignons émincés, 2 tranches de cornichons ou « pickles », 1 tranche de fromage orange (pas le jaune), 1 pincée de salade « scarole » (pas la « iceberg »).
7) Si tout a été fait dans les temps, le bipeur situé juste derrière sonne et la plaque de cuisson s’ouvre automatiquement, les patties sont cuits (quand il y a en a 2 c’est facile mais attention à bien s’organiser lorsqu’en plein rush ce sont 18 steaks grésillant et fumant qu’il faut gérer).
8 ) Se retourner avec le plateau en main, coincer le plateau dans la rainure de la plaque, saisir le récipient de « sel-poivre » et appliquer un seul saupoudrage de « sel-poivre » par patty.
9) Saisir un racloir et détacher les patties de la plaque en appliquant un angle précis de 45° pour racler (véridique) puis disposer les patties sur les pains garnis du plateau, reposer le racloir.
10) Emmener le plateau sur la table d’emballage, emballer avec la boîte Big Mac adéquate et enfourner dans le « bin » avec un codage à dix minutes et dire bien fort « un Mac dans le bin » pour que les serveurs situés de l’autre côté du « bin » entendent.
11) Ranger le plateau, racler la plaque, nettoyer l’atelier garniture, réapprovisionner les « gastros » en ingrédient si nécessaire.
Attention : les bipeurs sont programmés pour sonner après un laps de temps prédéfini c’est pourquoi toutes les actions sont minutées. Il faut accomplir chaque action exactement dans les temps car un retard entraîne des conséquences néfastes : pain qui brûle dans le grille-pain, patty qui se carbonise sur la plaque, client qui attend etc… C’est pourquoi on demande aux employés de bien suivre la « méthode ». Ainsi, l’on dit d’un bon employé « celui là il est bon, il est très méthode ».
Pour enjoindre l’employé à appliquer intégralement la « méthode » on le soumet à une pression managériale qui n’est pas verticale (provenant de la hiérarchie) mais horizontale (provenant de ses collègues alter-egos). C’est assez curieux mais cela fonctionne. Ainsi, chaque employé s’accrochant dur à ce job qui est souvent le premier de sa jeune vie, en arrive à fliquer son voisin : « Eh il faut se laver les mains au moins 30 secondes quand on revient de pause », « Pourquoi t’as pas mis le sel-poivre sur celui-là ? », « Tu t’es bien rasé ? Tu sais qu’il faut se raser non ? » etc… C’est un dépucelage. On comprend vite que malgré son poste de subalterne on détient un petit pouvoir, on se découvre « très professionnel » ou encore « très méthode ». Il existe ainsi des exemples de gens qui travaillent 5 ans, 7 ans au Macdo… Ils s’y sentent bien, ils aiment ça.
Le jargon te fait bien comprendre que tu es libre, que tu es ton « propre manager ». On te responsabilise. On ne te donne pas d’ordre. On te « laisse aller chercher des protèges-plateaux Marc Raquil », on t’enjoint à « t’assurer qu’il reste suffisamment de fromage Royal dans le gastro » etc… Quand on veut te faire une remontrance on emploie le « Par contre ». Exemple : « Par contre il faut que tu mettes les gants bleus pas les blancs pour prendre des glaçons ».
Chaque action rationnalisée à l’extrême. Les gestes. Les bipeurs. Les gastros. Les plateaux. Les dialogues.
J’te laisse repartir sur 9 regs 9 royal et scryper la plaque.  4 Mac 4 regs oké. Envoie une vaisselle plateaux. T’as mopé dans le Ronaldland ? J’te laisse aller te laver les mains. Oké 9 regs 9 royal ? Un carton de patty 100 en négative steuplè. J’te laisse te dépêcher. T’as oublié le deuxième cornichon sur ce Royal Cheese. Tu peux le mettre ? Tu peux aller prendre ta pause et rappeler Houssmar steuplé ? Y a plus que deux Fish dans le bin. T’as bien noté pour le Big Mac sans oignons ?
Les étapes de production. La méthode. Les process. Le nouveau manager formé au flagship de Romenrentin qui est « très très méthode ». Le magazine d’enseigne intitulé « Comme ça ». Le reportage sur Black Eyed Peas dans « Comme ça ».  Le design. L’innovation technologique. Ils embauchent que des Arabes et Noirs, sûrement pour des raisons de quotas : plein de mes potes blancs se sont fait refouler aux entretiens d’embauche. Le rouleau compresseur tayloriste mais « fun ». C’est inattaquable. Qui travaille à Macdo comprend qu’il n’y aura jamais de révolution.
Wé euh Darbois c’est ça ? Et Issam ? Okay j’vous laisse repartir sur douze Royal, douze Mac okay ? Moussa nous laisse repartir sur douze Royal douze Mac. Moussa dit un truc en arabe à Moustafah et ils rigolent. Moussa  nous laisse nous dépêcher. Issam demande si je peux m’occuper des Royal Bacon à sa place parce qu’il « préfère éviter de toucher à ça ». L’admirable piété…
Au bout de cinq heures, au bout de 86 macs et de 115 regs on a parfois le privilège d’être le témoin d’un phénomène thermohydraulique rare. Il arrive qu’il faille aller chercher un carton de patties en « réserve négative » : une salle réfrigérée à -18° dans laquelle sont stockées les denrées périssables. Comme on est en état de transpiration avancée, dès que l’on passe la porte de la chambre froide chaque goutelette de sueur du visage et du dos se transforme presque immédiatement en glace à la surface de la peau. Voilà c’est tout, c’est une petite expérience à vivre.
Travailler à Macdo (ou à Quick) lorsqu’on a 18-20 ans permet de faire connaissance avec des méthodes de management, avec des façons de parler et des ambiances que l’on pourrait croire exceptionnelles et cantonnées aux seuls fast-foods. Mais c’est faux. C’est tout le monde de l’entreprise qui est comme ça, abrutissant, absurde et « fun ». Les gens qui arrivent à s’épanouir dans ce type d’ambiance correspondent à un modèle, à un profil précis, et l’on retrouve ces schémas et ces profils depuis l’équipier subalterne de Macdo jusqu’au « partner » chez Sherman & Sterling. Une personne qui parvient à s’épanouir au Macdo pourra s’adapter très facilement à toutes sortes d’entreprises par la suite. Macdo c’est le test. La très grande majorité des entreprises fonctionnent de la même façon. Interchangeabilité des employés, turnover, rationalisation de toutes les actions, tableaux et graphiques de performance, jargon anglicisant, antiracisme opportuniste, management « fun » et pression triangulaire poussant au flicage mutuel des employés du même échelon, surinvestissement qui confine au grotesque de la posture « professionnelle » etc… Bienvenue dans le monde de l’entreprise.

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