Ce
bar c’est l’autre côté de la nuit
C’est
ma première soirée dans cet établissement que de nombreuses
relations m'ont vantés comme un mythe de cette ville. Je suis
introduit ici par un « ancien » qui m’aime bien. C’est
un honneur, vraiment. Je lui dirai plus tard à cet « ancien »
que j’ai l’impression de recevoir l’Arche d’Alliance des
mains d’un garde-vétéran... Bruxelles c’est Paris d’il y a 20
ans... Ce bar existe depuis 1939, on y passe du « jazz »
et d’autres choses très créatives. Il est bondé toute la nuit,
la clientèle est plutôt disons, érudite. Je fraternise avec
plusieurs « Anciens »... Ils m’acceptent parce que je
leur suis présenté par un type par eux respecté. Le type se
« porte garant » pour moi, et j’en ai conscience.
Ca
joue du jazz, une sorte de jazz funk, avec des violons parfois je
crois... volutes dans la nuit... on est cosy on
sourit... Le bar est blindé. Et l’on me fait une place, à la
place d’honneur même, celle « ou tout le monde veut être »
m’assure-t-on. Et là on commence à écluser. On est quatre types
en bout de comptoir. Le prof de photo, un type qui ressemble à un
Arabe mais qui s’appelle « Paul », un trentenaire Blanc
beau gosse bien conservé le genre qui les nique toutes, et puis moi.
Une
allemande parle avec le Blanc trentenaire. C'est sûr qu'il va la
niquer. Il est gand, il a tous ses cheveux, il les a noirs et drus en
bataille, ça contraste avec ses yeux clairs, c'est le genre de
physique Marc Lavoine un peu... La fille c'est une jeune allemande
grande et fine et blonde vénitienne... qui a un leggin, le plus
excitant modèle, le leggin noir opaque qui couvre de début du pied
ce qui a pour effet d’allonger un peu la jambe... Et au bout des
jambe elle a des sandales blanches à talons, et unvernis rouge
impeccable, ce qui porte à incandescence un certain effet de
contraste... ça donne envie de lui sucer les orteils ce genre
de choses... je crois.
C’est
une farandole de visages ici... Aryens, Orientaux, vieux et jeunes,
et des filles de « toutes les provinces de l’Empire »...
L’Allemande longiligne est vraiment bonne. Elle veut se taper le
Blanc trentenaire c'est sûr... Elle fait vraiment tout pour l’y
amener. Mais le mec s’en fout.
J’entame
la conversation avec le prof de photo. Je ne me souviens plus de
tout... C’est très enfumé, alcoolisé et dansant tout cela...
Alors wouhouhou danse
pour nous Bruxelles ville aryenne ville flamande, nous veillons
pendant que tes habitants dorment, nous sommes une petite centaine
tous serrés dans cette antiquité, et ensemble nous « fêtons
la vie » comme disent les gauchistes qui manquent de
finesse ... C’est un train enchanté ici, et le prof de photo
s’accroche au bar il se cramponne le bonhomme parce qu’on est
tous bien pétés déjà, à cause de Paul qui apporte des tournées
de Vodka, et à cause des bières aussi... « faut
que tu lises les frères Karamazof, les frères Ka-ra-ma-zof... »
qu’il me dit... « Ivan
Karamazov c’est moi ! »
ajoute-t-il. C’est l’histoire de trois frères qui ont chacun une
Foi très différente les uns des autres, c’est très profond,
davantage que Céline assure-t-il. Mais il n’a pas lu « Mort
à Crédit » alors... Puis on parle de religion. Il n’en
revient pas de ce que je lui dis sur la religion... Il s’étonne,
il essaie, il me pose des questions, je lui réponds, il me dit que
je lui réponds à côté, que ce n’est pas ça qu’il demande...
Cela a l’air de lui retourner la tête, il est comme bloqué
mentalement sur le mot que je lui ai dit en réponse à son « c’est
quoi ta religion ? ». Il y reviendra plusieurs fois dans
la soirée... Les mecs s’étonnent autour, me disent « mais
comment ? »
et « mais
mec mais comment ça ?? C’est vrai ? »...
J’aimerais bien leur dire de lire le blog de Lounès
Darbois-Beaumont... Pour qu’ils comprennent.
Un
coup d’œil à gauche vers le Blanc trentenaire qui se rapproche de
l’allemande longiligne. Celle-ci est assise sur une chaise haute
avec une jambe repliée vers elle, et le mec pose sa main
négligemment sur son pied, comme ça... Marrant c’est exactement
ce que j’aurais fait. Mais il se barre... Non vraiment il n’en
veut pas de cette fille. Tiens.
Je
lâche plein de fric... Allez, allez, on s’en fout mince. C’est
pas tant de fric que ça t’manière. J’ai l’impression d’être
à Montparnasse dans les années 20-30... D’ailleurs l’atmosphère
« historique » s’y prête également... La Belgique va
peut être se scinder... On vit une drôle d’époque, dans un drôle
de monde. Bruxelles est l’un des centres de ce monde. Je demande au
prof de photo, ce que lui pense de tout ça... Il pense que la
Flandre creuse son trou en voulant se séparer, et que cela se
retournera contre eux sur le long terme... Sur 50 ans. Je lui dit que
ce qu’il faut c’est TOUJOURS garder la monarchie, la préserver
et la protéger. Que la France souffre d’une chose que les gens
ignorent : c’est de ne plus avoir de Roi, cette figure
unificatrice et pacificatrice. Et que surtout il ne faut JAMAIS que
la Wallonie, si elle devient autonome, se rattache à l’Etat
français, jamais.
On
s’étripe sur Céline... Dans toutes les conversations que j’ai
avec des types intelligents y a toujours Céline qui revient j’ai
remarqué... C’est un marqueur. On débat sur le message Célinien.
Moi je soutiens qu’on s’en fout complètement du contenu de son
message, que tout ce qui compte c’est sa façon de raconter. Mais
qu’il faut faire très gaffe avec les pamphlets. Ils sont à ses
autres livres ce que la datura est au passiflore disons... Ils sont
dangereux les pamphlets.
Du
coup on parle de drogues... Il me dit qu’il a déjà pris des
champis. Et du peyote, et de l’ayahuasca, et toutes les drogues
possibles... Le prof de photo. C’est dangereux ces putains de
trucs... Et il est cependant toujours là, et « sain
d’esprit ». En fait les drogues ce n’est pas fait pour tout
le monde, voilà tout. Voilà de quoi clore les interminables débats
qu’ont certains étudiants en Erasmus qui découvrent un peu la vie
et entament des discussions de 6 heures sur le thème « est-ce
que le shit c’est aussi grave que l’alcool ».
C’est
étrange je ne ressens pas le besoin d’aller voir des filles. J’en
ai une déjà. Mais je pense à Anne, « elle »
encore... Tiens mais j’ai son numéro au fait... Il est trois
heures du matin ici, il doit donc être environ 20h chez elle. Je lui
envoie un texto. Traverse l’Atlantique petit texto, va t-en lui
faire un bisou pour moi à la petite nana du bout du monde... C’est
fait. Je regarde les trois « Anciens » et je leur dit
tout simplement : « les gars je suis... Je suis bien là,
c’est formidable. Vous pouvez pas savoir... », et ils disent
que c’est cool et les gens me prennent dans leurs bras alors qu’on
ne se connait pas, contre mes joues ça frotte et ça pique les
grosses barbes, ça sue, ça pue mais c’est formidable... Merci,
merci les mecs... J’ai l’impression d’être une vieille
chanteuse qui vient en rappel saluer le public après sa dernière
chanson... « Merci
vous êtes formidable »,
un peu cela...
La
musique est incroyable, des mixs de jazz qui tournent funk qui
tournent blues qui tournent lent, puis rapide... On est emmenés. Je
pense à Céline, il n’aimait pas le jazz lui. Un Caucasien
embrasse une Renoie, là au comptoir... Un vieux beau ramène chez
elle une petite nana modèle « étudiante aux Beaux-Arts »
super jolie... Un Noir entre dans mon champ de vision. Il a un
chapelet autour du cou... Mais ça peut être un chapelet de
n’importe quelle religion. Je me permets d’examiner l’objet...
Il y a une croix chrétienne au bout. On commence à jacter. Il me
dit qu’il a vu, et qu’il s’est converti apparemment. Qu’il a
vu... Il n’ose pas me dire. Il me dit que tous ses amis se moquent
de lui pour ça... Il me dit qu’il a vu un ange. Une nuit, depuis
son lit. Qu’il ne dormait pas, qu’il l’a bien vu, un bon
moment, un ange qui montait et qui descendait... Comme ça dans
l’air... Que c’était bien un ange, qu’il a bien vérifié. Je
ne sais pas quoi répondre à ça.
Aux
toilettes je vais un moment. Le savon pour se nettoyer les mains est
le même genre que ce que nous avons connu à l’école primaire,
savez-vous ? Ces pains de savon emmanchés sur une tige en métal
qu’il faut, n’est-ce pas, branler pour
s’en frotter les mains... Cela fait des années que je n’avais
plus vu cela... Bruxelles c’est Paris d’il y a 20 ans.
Tout
le monde danse et lève son verre, tout le monde s’enivre... Après
environ 12 bières je tiens encore solidement la barre, j’en
éprouve de la satisfaction. L’ivresse « gaie »
n’est-ce pas...
6
h la salle se vide peu à peu. Ne restent que les trois Anciens,
l’Allemande longiligne, une copine hollandaise à elle, quelques
types, et moi... Paul drague la copine hollandaise. Et l’Allemande
je ne me souviens plus... Le prof de photo m’explique que ce Paul
agit d’une façon stupide. Qu’il est dans un processus purement
mâle, à raconter des conneries à la fille pour la faire rire...
Qu’il veut étonner, séduire, amener à lui... Alors que la fille
est dans un processus purement femelle, qu’elle n’attend qu’une
chose, que Paul lui dise « viens chez moi on va baiser »
grosso modo... Et sans doute a-t-il raison le prof de photo. Il est,
comme de nombreuses personnes que je rencontre ces temps-ci,
« clairvoyant ». J’ai constaté que la clairvoyance
mène certains à l’athéisme, et d’autres à la Foi. Mais que
d’autres éléments entrent en ligne de compte pour déterminer ce
qu’ils vont adopter.
La
salle est complètement déserte, c’est étonnant, elle s’est
vidée sans que rien n’y paraisse. Et là bas... Dans le fond, on
distingue deux policiers, un homme et une femme avec des gilets
pare-balles qui prennent la déposition d’un videur. Assis tous
deux aux tables, comme des clients, comme ça. Il a maravé des
Mexicains qui voulaient rentrer après l’heure, le videur
apparemment... Et il les a vraiment roustés sévèrement. Les types
ont portés plainte. Nous n’avons rien vu. Cela s’est passé
dehors.
Paul
n’arrive pas à brancher la copine hollandaise. Et l’Allemande
longiligne n’arrive pas à hameçonner le Blanc trentenaire... Et
comment ça se termine ? Les filles gagnent toujours. Les deux
samaritaines s’en vont avec deux vagues types qui trainaillaient
encore dans la salle à cette heure. Toutes
les femmes que nous nous refusons d’honorer, ce sont d’autres
hommes qui les honoreront pour nous.
Peut être parfois « d’autres »
pas très sympas ni très bien intentionnés... D’autres qui
viennent exprès pour cela, comme s’ils accomplissaient une demande
inconsciente des femmes. M’est souvenir à Grenoble d’une soirée
à la MC2 ou un Noir avait sorti sa carte d’identité de Béninois
devant un Blanc avec qui il s’embrouillait. Et il a dit exactement
ceci : « Tu
vois ça ? Moi je suis là pour baiser la France et baiser des
femmes blanches ! ».
Paul
s’en va. Il ne reste plus que le prof de photos, le Blanc
trentenaire et moi... Ensemble on s’en va dans les rues éclairées
du jour naissant, le joli jour du vendredi 18 Juin 2010... C’est le
matin, il est 7 heures. Que faire ? Nous convenons ensemble que
nous souffrons de la faim, et décidons d’aller dépenser nos sous
dans un établissement de type « Kleine
Restauratie »...
Voilà une « Frituur ».
J’entre seul et opte pour une « mitraillette hamburger ».
Je commande, paie, sors avec le plat dans les mains et mange et en
propose aux autres. Mais les camarades, et notamment le prof de
photos, s’insurgent. Ce dernier, enfiévré, part sur une tirade...
la primordiale vertu d’ascétisme, la drastique autorégulation
qu’il impose à son corps, il invoque Gandhi, Ignace de Loyola,
l’esprit qui domine la matière, tout ça... Il en impose.
Son abnégation, son opiniâtreté... Et à une pareille heure, après
avoir tant bu, après s’être tant décapé l’estomac...
Vraiment, voilà un athée authentiquement nietzschéen,
véritablement grec, impeccablement sadduccéen, l’avant-garde
de la « race d’ascète » sans doute, celle-là même
souhaitée par Céline à la fin de sa vie... Ainsi personne ne
veut goûter même une seule frite de ma « mitraillette » ?
Alors on s’en va... Dans les rues encore. Ou va-t-on, que fait-on ?
On ne sait... On est pétés, on rit, on crie... On est « lyriques ».
J’ai l’impression d’être dans les années 1970.
Nous
passons devant un « Kebab ». Un affreux établissement de
kebab paré à l'entrée de photos au flash sur fond rouge des
kebabs disponibles... On y entre. Voilà qu’ils craquent les
ascètes. Fini les résolutions, voilà qu’ils veulent bouffer, et
absolument bouffer, ça y est la digue est rompue... Les voilà qui
commandent tout plein de « Durum »
et de « Pita »
et encore des « kefta-boulettes »...
Bah et Ghandi ? S’en foutent ! Ils commandent énormément,
puis ils insistent encore sur les sauces... ils les exigent
abondantes et puis onctueuses, et puis riches en ail... C’est la
débâcle des jeûneurs du dimanche... Les cuisiniers kurdes de
l’établissement s’exécutent. A cette heure ils ont bossés
non-stop depuis minuit les bougres, ils sont en sudation extrême,
leurs pores élargis comme des pointillés de haut-parleurs aux
joues, et ils cisaillent et découpent tout plein de viande au-dessus
des vapeurs d’huiles des vapeurs d’eau des vapeurs d’ail... Des
vapeurs « issues de la diversité ».
On
s’installe comme des pachas sur les tables. D’ailleurs les
établissements de Kebabs s’appellent souvent « le pacha »
ou bien « le sultan ». Peut être à cause de
l’hospitalité orientale, par ailleurs trop souvent galvaudée par
les racailleux de chez nous : « tsékoi
chez moi je te reçois comme un prince ! tsékoi
tinkiète! »...
La clientèle est principalement féminine et même féminine
caucasienne. Nous entamons un débat vif, un débat passionné tous
les trois... Un débat sur le coït, la baise avec la femme
voilà. On parle un peu fort je crois. Tout commence d’une question
que je pose au Blanc trentenaire : « mec l’Allemande en
leggin là, tu sais... Tu aurais pu te la taper cent fois, elle te
cherchait à fond alors qu’est-ce que tu as fichu ? »...
Il dit que oui que peut être, hausse les épaules... A demi-mot il
avoue qu’il a eu un problème dans le passé à force de baiser
toutes les femmes. Il a eu un enfant d’une femme qui le lui a
caché. Et il ne s’y attendait pas. Je n’insiste pas, et la
discussion bifurque sur le thème de la capote... Alors, la
capote : faut-il s’en revêtir ou pas ? Là je soutiens
que la capote est une honte, une ignominie, que c’est un gâchis de
pénétrer avec capote, que je préfère absolument ne pas baiser que
de m’affubler de cette insulte plastique. Avec véhémence je
m’emploie à asséner les arguments tout en déconnant franchement,
et ainsi nous passons un bon moment. Les autres conviennent avec moi
d’ailleurs. Derrière nous, de jeunes clientes éclatent de rire,
en effet nous parlons vraiment trop fort... Et nos mots « bite »
et « foutre » et « limage » jurent comme des
tâches de harissa sur des nappes bien repassées.
Et
puis, que je leur dis pour la boustifaille, quand même les mecs,
vous êtes des faux ascètes là... Ca existe pas le durum et les
frites dans le « menu ascète » normalement... Alors ils
se répandent en récriminations biaiseuses, comme quoi oui, mais
non, mais tu comprends, le durum, par rapport à la mitraillette
c’est pas... pareil et puis... Quel foutage de gueule. Et vas y que
ça bouffe les ascètes, que ça « fait des crocs », que
ça prend des bouchées... Ce qu’on est biens... C’est la
camaraderie. J’aimerais être sur un chalutier avec ces types par
exemple. Et pêcher des poissons et chanter des trucs, et boire du
vin, et perdre deux kilos par jour dans l’effort...
Repus
nous sortons. Il fait de plus en plus jour dans les rues. Le Blanc
trentenaire récupère sa mobylette, marche à côté avec nous,
s’exclame qu’il a perdu son casque. Je fonce au Kebab, je cours,
voilà le casque ! Ouf. Le mec revient en mobylette, revient
pétaradant et solitaire sur le trottoir désert, récupère
son casque, je monte derrière sur le porte-bagages, et on fait comme
ça une centaine de mètres sur le trottoir très laborieusement,
pour rejoindre le prof de photos. Il est pété ce n’est pas
sérieux. Je pense à une scène du « Péril Jeune ».
J’ai l’impression d’être dans les années 1970.
On
retrouve le prof de photo. Ils veulent aller dans un bar qu’est
encore ouvert. Le bar ou précisément j’ai fracassé le barman la
semaine passée (voir Marrave
pour Jane Birkin).
Je leur dit aux mecs. Ils me disent que vraiment pourtant ce barman
est cool, que c’est une crème, que c’est dingue de s’être
tapé avec lui... Peut-être était-il sincèrement épris de Zara.
Il aurait dû me le dire, j’aurais décroché, je pense. Peut être
que toutes les guerres sont causées par des malentendus et des
incompréhensions...
On
arrive devant le bar. Le vigile noir me reconnaît, mais au lieu de
me bannir il me dit seulement « bon
toi tu vas te tenir bien hein ».
Je lui dit que c’est d’accord. On rentre dans l’établissement,
c’est une atmosphère épaisse... Ils en sont les clients, à 12
heures de fête non-stop là dedans, 12 heures de sueur et de bières
et de mecs en sueur serrés qui dansent les uns contre les autres sur
du tam-tam électro. Y a des filles aussi. On perd le prof de photo.
La dernière fois qu’on l’a vu il était en train de dormir sur
le comptoir au milieu d’une populace très dense et très agitée.
Il a dû rentrer en taxi chez lui.
Avec
le Blanc trentenaire on va se caler dans le fond, sur des chaises. Y
a plein de filles, c’est le bout du bout de la nuit, tout le monde
est complètement pété. Une renoie engueule son mec latino, une
Vanessa Demouy essaie d’embrasser une amie à elle de force et
elles rigolent toutes les deux... Y a un type étrange qui se pointe,
un énergumène, un look « béret-lunettes-treillis » et
imperméable... On est en plein mois de juin. Le Blanc trentenaire me
dit « Alors lui je le connais, il est génial lui !... Y
sors de la lune !... Génial lui ! »
La
Vanessa Demouy devient vite le point d’attraction de tous les
regards, dans cette arrière salle. Elle se met à danser très
« salope » sur des mecs, sur des filles, elle soulève sa
jupe, s’assoit sur une fille qu’elle maintient à terre,
l’embrasse de force... Elle se relève, chope un Louis Garrel
bouclé, mais très fatigué, le type a des cernes noirs comme des
cocards, elle le chauffe, elle embrasse plein de types... Les
filles, toutes, semblent vouloir absolument baiser, et ça c’est un
genre de baise que je n’ai jamais eu : la baise du bout de la
nuit avec une inconnue. Le Blanc trentenaire me dit qu’on pourrait
croire que c’est bien, mais qu’en fait c’est pathétique dans
les faits... L’alcool, le capote/pas capote, les odeurs, les
tronches défaites... Que ce n’est pas glorieux, ça non.
Et
puis sans prévenir, l’embrouille éclate. Le Louis Garrel chope un
Slave rasé par le paletot, les yeux s’écarquillent, ça gueule
plus fort que la musique... le tam-tam électro... c’est
l’intimidation, c’est dans nos gènes en cas d’embrouille, on
devient des chiens... C’est à cause de cette conasse, là !...
C’est elle qui rend tous les mecs cinglés avec ses conneries. Les
deux mecs se hurlent des menaces, et d’autres types arrivent,
séparent, reviennent, se raccrochent... C’est parti pour durer. De
toutes les chaises de l’arrière salle ça se lève, se réunit,
s’empoigne... Des Blancs des Noirs, un Indien, un Arabe, toutes les
nations du monde prêtes à s’étriper pour la Vanessa Demouy.
D’ailleurs ou est-elle ? Je cherche dans la salle... Là !
Elle est contre un mur dans les bras d’un Noir, elle minaude, elle
joue à celle qui a eu peur, et le Noir s’en donne à cœur joie
dans le rôle du « mâle qui rassure de façon désintéressée
mais tout en mettant la main cul, tu comprends ma belle je ne veux
pas que tu souffres »... Putain de cochonnerie... Et ça
continue ce bordel, le Blanc trentenaire se lève, essaie de séparer
deux types qui commencent à se mettre des coups... Il est projeté
d’un seul coup le Blanc trentenaire, quelqu’un l’a poussé...
ça valse en arrière, ça se raccroche, ça renverse... des bruits
de verre brisés ça et là... Quelle effroyable merde. Juste pour
une nana quoi... Le vigile noir arrive, et il aboie plus fort
que tout le monde, il écarquille les yeux plus que tout le monde, il
calme tout le monde... Il ne vire personne. La Vanessa Demouy dans
son coin, continue avec le Noir, elle sourit en disant des trucs à
son oreille... Voilà que le Noir récupère toutes les meufs, les
console, il en enlace deux à la fois... deux Blanches salopes. C’est
le vainqueur de l’affaire, c’est le roi noir.
On
se rassoit avec le Blanc trentenaire. Le calme revient. On commande
des bières encore. On discute de choses et d’autres. Le mec me
demande 5 fois si je suis Juif. C’est drôle. Puis annonce qu’il
fait une fête avec des potes chez lui ce soir, qu’il a un jardin
pour faire un barbecue, qu’il m’invite. Je suis comblé. Puis il
me redemande encore si je suis Juif et puis finit son verre d’une
traite et on se barre. Sur le trottoir devant l’établissement il
récupère sa mobylette. Derrière nous un Noir parle à une
Caucasienne. Puis la fille dit au revoir et s’en va dans la rue,
elle marche, elle s’éloigne... Un Blanc rasé incite le Noir « mec
mais c’est pour toi mais vas-y rattrape là, insiste ! Vas-y !
Vas-y ! Nique là ! »...
Puis il rentre à l’intérieur le Blanc rasé. Le Noir resté seul
fait quelques pas en direction de la fille, elle s’éloigne là bas
seule, on voit sa tête blonde de dos, loin très loin... Il fait
quelques pas le Noir... Et puis il s’arrête, fait un geste de
dépit avec le bras, il revient sur ses pas.
Je
dis au revoir. Rentre dormir un peu. Il est 9 heures.
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