Le
samedi il faut avoir du ''fun'. En semaine on est fatigué, on doit
se coucher tôt pour bosser le lendemain, on a l’excuse, on élude.
Mais le samedi il faut assurer. Il faut et il vaut mieux avoir plein
de choses à faire, plein de propositions de sorties, plein de
copains et de copines à voir... Comme ça on reste dans le coup
socialement parlant. Parce que cette brutale irruption de « temps
libre » vous met à nu. Si on n’a pas de vie sociale c’est
qu’on n’est pas assez aimé. Et si on n’est pas assez aimé
c’est qu’on n’est pas assez aimable. Et c’est tout.
C’est
à ça que je pense en marchant vers le jardin du Luxembourg après
une vague course dans le quartier. Car en ce samedi j’avais
seulement cette activité là de prévu. Je m’appelle Cyril Terné
j’ai 26 ans nous sommes le 21 Octobre 2008, il est 14h16 et je n’ai
rien à faire jusqu’à mon RER de 18h34. Je vais traîner dans
Paris, faire des détours, flâner, Ca me mènera bien jusqu’à
18h34.
1/
RIVE GAUCHE
Rien
de plus dangereux que de flâner à Paris ou mille minois, boutiques,
publicités t’attirent tant et tant le regard qu’au bout de vingt
minutes tu en as la tête qui tourne. Ici plus qu’ailleurs il faut
avoir un but. Ne surtout pas se laisser happer par ces
arrondissements en colimaçon qui tournent en spirale qui
vous alpaguent, qui vous entraînent. Et pas façon « folle
farandole ». Façon siphon de lavabo. Paris, cette capitale qui
innerve la France, cet étrange « centre » qui est loin
de tout, excentré, distant de 2 heures minimum de la première
habitation abordable. Tous les gens qui déambulent sur les trottoirs
ce sont des passants. Pour la très grande majorité ils n’habitent
pas là les gens. Personne n’habite là. Les passants ce sont des
touristes étrangers, des racailles, des poseurs… que des gens qui
n’ont rien à foutre ici donc, qui ne sont pas enracinés
dans la ville, qui n’en sont pas dépositaires. Les gens viennent
pour une sortie, pour s’embellir à l’ombre de Paris, mais
personne ne cherche à embellir Paris. D’ailleurs plus rien de beau
n’est crée ici depuis au moins 70 ans en art, architecture, en
quoi que ce soit.
Ce
qui frappe c’est l’absence de gens « normaux ». De
gens qui seraient enracinés dans leur ville avec leur famille depuis
plus de trois générations, de gens vêtus correctement, polis,
identifiables comme « parisiens » comme sur les cartes
postales noir & blanc des kiosques. Ou sont-ils passés ceux là ?
Et les vieux des années 80-90 ? Les magnifiques vieux tirés à
quatre épingles même pour aller acheter le pain, ces exquis qui
s’ignorent, qui avaient des tics de langage « ah
voilà... »,
« puis-je me
permettre de vous demander... »,
« eh bien
figurez vous que… »
avec un accent circonflexe sur les « a »… Ne mourrez
pas les vieux s’il vous plaît ! On se fait tellement chier
sans vous…
Comment
appréhender un espace urbain que tout le monde fréquente mais que
personne n’habite ? Un endroit ou les gens ne font que
passer ? Que se servir et partir ? Quelle autre conséquence
cela peut-il avoir qu’un bouleversement du rapport des gens à
autrui et aux choses de cet espace, c'est-à-dire un bouleversement
du sens civique ? « A
nous d’inventer la symphonie du vivre ensemble ! »
pourraient alors clamer les gauchistes... Mais la réalité
qu’avons-nous ? Un « tous contre tous » en
cacophonie avec Delanoë à la baguette, chef d’orchestre battant
mesure de l’autodestruction festive.
Certes
Paris l’on peut y loger sur place mais alors… Alors entassés en
promiscuité étroite, en empiètements mutuels des porcs élevés à
7 par box à raison de 15 box par étages, soit 105 réclamations de
respects des droits individuels « tous contre tous »
macérant ensemble par 40 degrés les soirs d’été, lorsqu’il
faut baiser, que dehors la rue les filles les jupes se font plus
pressantes, que la frustration se fait plus brûlante… absurdité
évidente, semailles de guerre civile… Non vraiment il n’est
d’échappatoire nulle part à cette porcherie à moins d’être
très aimé, et assidûment, quotidienne évasion en esprit de ce
labyrinthe. Et ne parlons pas des loyers.
2/
LES QUAIS
Voilà
Paris en scintillements du fleuve, soleil rasant sur les murs en
pierre qui ont vus passer Henri IV, aux terrasses ribambelle des
jeunes filles répréhensibles, promesses qui n’engage que vous
d’un bonheur possible, grimper sur scène avec elles est mon
écueil car je jouerais tout mon royaume pour ce cheval
d’orgueil.
Paris
renvoie au passé je trouve. Pitié-Salpêtrière, Hôtel-Dieu, rue
des Franc-bourgeois, tous ces noms... Pour un peu ce serait le
Moyen-âge... Un monde de Yseult et de Jeanne d’Arc, de jeunes
Manon des sources de paysannes qui s’appelleraient Madeleine ou
Margot qui seraient très pieuses et très chastes... Enfin ça c’est
dans tes rêves bouffon... Les Manon des sources ça ne court pas les
rues... La plupart des vains chercheurs de sources savent qu’en
réalité on prend ce qu’il y a, que le romantisme à deux balles
finit souvent en houellebecquien chuintement de latex « Manix »
sur une demi-molle... Que ça se finit en nana qu’on a bataillé
pour, qui se met sous les draps, se désape sans autorisation et qui
dit « allez vas-y »… Moi ça me fout la nausée ces
plans là, à en sentir poindre gerbe et larmes tellement que je vois
pas les choses comme ça. La vieille pounche post-restaurant du
couplinet bien sage quelle horreur... Vraiment
le cul n’est intéressant que si c’est « mal » que
s’il « ne faut pas ».
Et
puis elles sont surévaluées les parisiennes c’est évident. Toute
vraie rencontre est impossible. C’est une réponse qui bruisse
sourdement à nos vains appels, elle murmure là sur le pont des
arts, elle chuchote « c’est impossible » aux
pathétiques sorties du samedi soir lorsque sans réseau parfaitement
ignoré, tu sens un picotement aux yeux dés 23h et un bâillement
réprimé, alors tu comprends que tu joues au mec qui kiffe mais que
tu souhaites aller te coucher, rentrer seul qu’on te foute la paix,
que toute cette mascarade te foute la paix, que la merde tu en es
devenu complice, tu t’en es fait une amie pour mieux la supporter.
Encore un weekend pour rien. Cela ne t’empêche pas de vivre, mais
le temps passe et le temps n’attend pas. Make
sure your time is well spent préviennent
parfois sur un panneau à l’entrée les églises protestantes du
Commonwealth. L’horloge est bien réglée, elle fixe un agenda
qu’il vaut mieux suivre à la minute pour pouvoir rester dans la
danse. Cette continuité là, celles et ceux qui ont eu la grâce
d’en jouir ce sont des extra terrestres. Eux et moi on pourrait
communiquer mais jamais se comprendre. Ils sont moi qui n’aurais
pas souffert, je les appelle les « parcours
continus ».
Ce
qu’il faut c’est se confronter à ses peurs et en sortir fort et
rasséréné. Mener la lutte sans chercher le confort. La lutte est
pénible et le confort est tentant... La honteuse douce tentation...
rentrer s’enfermer chez soi, s’acheter une console et jouer toute
la journée, fumer des joints se bourrer la gueule... se branler
devant des pornos, s’enfumer la tête de théories du complot,
s’alimenter en mélancolie pour ressentir encore des choses...
Bouffer l’ersatz de la vie... Faut pas s’y tromper ! Ce qui
compte s’est de se battre dans le réel. Mais comment ?
Comment putain, comment ? C’est comment qu’on se bat ?
Sortir marcher ? Rentrer dans un bar taper la discute ? La
« drague de rue » ? Quoi faire bon sang quoi
faire... Persona non grata du triomphe des corps, définitivement
vaincu de cet après midi étouffante, Cyril Terné suintant
l’anxiété du quémandeur d’affection je donnerais n’importe
quoi pour une après-midi ensoleillée à rigoler avec une petite
aryenne de chez nous au jardin du Luxembourg. Au comble de la
frustration je pourrais rentrer m’enfermer chez moi pour visionner
un dvd sur la vie et l’œuvre de Pierre Sidos et peut être que là,
à mille lieues d’une Johanna bouche charnue et leggin sur le pont
des arts je toucherais véritablement le fond… Que de cette épreuve
nietzschéenne je remonterais plus fort plus beau, car c’est bien
comme ça que l’on nous a appris la vie : les échecs
préparent les victoires n’est-ce pas, depuis Vegeta super-saïen à
Tahar Rahim dans « Un prophète »... Normalement c’est
comme ça… Mais en réalité, pour un seul Malik El Djebenna
combien de Richard Durn ? D’ailleurs est-ce que l’on sait
que le film culte de ce dernier était Taxi Driver ? Voilà
comment il a fini…
Le
ressentiment des Richard Durn est le produit de leur histoire
personnelle certes. Mais aussi le produit d’une société qui vous
fait comprendre qu’il n’ya pas d’issue, une société qui
méprise le mérite et le travail, lui préférant une ambiance de
branleurs subventionnés. Le looser à Paris c’est le bosseur. Tu
n’es jamais autant looser qu’en étant livreur, serveur,
déménageur, vendeur dans un magasin… Bref être un type qui ne
peut pas se coucher tard, qui a des coûts fixes élevés et peu de
revenus, qui voit les racailles en maillot du Brésil s’amuser sur
un terrain de foot municipal peut-être grâce à l’argent de ses
impôts… Les mecs qui décrochent et que l’on appelle clochards
ce n’est pas de biens matériels qu’ils ont manqués. C’est
d’allant, de débouchés, d’issues... Car il y a des gens comme
ça qui crèvent dans l’abondance de bouffe, sans vraiment
comprendre ce qui les tue. Quelqu’un a écrit que la damnation
c’est de souffrir mais d’ignorer pourquoi. Les clochards sont les
martyrs de la lutte. La lutte s’est complexifiée, elle ne consiste
plus à ne pas crever de faim, mais elle consiste toujours dans le
fait de se perpétuer. Comment y comprendre quelque chose...
Puisqu’on peut en ne foutant rien avoir l’assurance de bouffer à
sa faim. Puisque rien ne nous pousse à nous surpasser vraiment.
Paris
observatoire d’un monde qui change, Paris manifestation objective
des soubassements du changement, ses trottoirs garnis de crottes, ses
énormes publicités sur kiosks pour le magazine l’optimum, ses
aryennes antiracistes de Bastille qui se perfectionnent en salsa à
la Favela Chic, ses échanges associatifs danse hip-hop /danse
contemporaine subventionnés, ses voyages de classe à New York, son
enculage interracial financé par les impôts, sa jeunesse dorée
étudiant en école de commerce qui se tape dans la main avec des
poses de gangsta rappeur « c’est bon ça »... Le monde
change à une vitesse hallucinante. Et Paris-Bastille en est un
observatoire aussi valable que la Silicon Valley.
3/
REFLEXIONS SUR PARIS BASTILLE
Ne
jamais sous-estimer la force de la salsa comme passerelle pourvoyeuse
de chaos. Katie Cullen lardée de 130 coups de couteau avait connu
son tortionnaire dans un club de salsa…. C’est
tellement évident…. L’aryenne infirmière de 35 ans douce et
coquine, et son acharnement à aller vers le merdique vers le bas la
destruction le caca bien brunâtre bas du front gras des cuisseaux…
Je connais bien des Katie Cullen. Mais je ne les comprends pas.
Les
Katie Cullen comme des femmes-lumières dans les quartiers
« passerelle »: Bastille, Oberkampf, Bercy, Champs
Elysées, Saint-Michel, Pigalle... Là ou ça s’entrechoque, là ou
la bourgeoisie et les classes moyennes caucasiennes des
1,1 enfant par femme rencontre le prolétariat aisé des Arabes et
Noirs à 7 enfants par femme. Dans ces quartiers là se sont
déroulées les bagarres les plus violentes que j’ai vu de toute ma
vie. Des quinze contre un, des flaques de sang par terre, des
pogromeurs en fuite, ce sentiment de triomphante impunité, la fin de
la raison, qu’il n’y aura aucune conséquences pour les lyncheurs
aussitôt disparus, tous semblables, pas distinguables, sans-identité
Et
cette constante implacable dans les constats: les massacreurs de
blancs avaient la même apparence que certains autres, en paix ceux
là, main dans la main avec jolies caucasiennes à nez droit.
Paris ça
sent le cramé.
Paris est le théâtre des opérations d’une collusion de deux
mouvements disjoints qui en réalité n’en forment qu’un, niquer
et baiser : niquer les hommes pour déferler sur
le territoire là
ou se trouvent les ventres de la race en place. La notion de
territoire c’est comme la notion de race. Si toi tu n’y crois pas
sache que tes ennemis eux, y croient. Ils savent ou ils vont eux. Et
un beau jour tu te retrouves à devoir quitter ton pays... Amis
entends-tu...
Ressens-tu cette tension électrique des soirs de juin, ressens-tu la
pression ?...
A
Oberkampf Samedi dernier j’ai ressenti la pression. De sortie le
soir avec des amis nous avons vu passer lentement ensemble un Porsche
Cayenne, un BMW M5 et un Merco classe S derniers modèles les uns à
la suite des autres dans la rue bondée de filles et garçons aux
terrasses. Dedans les bagnoles c’étaient des Noirs et
Arabes de 20 ans peut être moins. Arrêtés au feu rouge ils
ouvraient les portières, tripotaient leur téléphones, sortaient
dire un truc à leurs potes dans l’autre voiture... C’était fou.
C’était là. Je le dis comme c’était exactement. Je raconte pas
de blabla moi. Je raconte ce que je vois.
Les
sociologues-journalistes-éducateurs-ragoteurs des télés ne le
voient pas tout ça. Ils ne sont pas à Oberkampf le 14
Octobre 2008. Ils ne sont pas non plus à Pigalle ce soir
de Mai ou j’ai vu un Blanc maravé au sol par 15 Arabes et Noirs.
Donc le réel ils ne le voient pas. Ou alors, et c’est peut être
pire, ils le voient mais se détournent, haussent les épaules,
disent vaguement comme ça « tain
ça craint ici »
comme j’ai vu faire, et le lendemain c’est oublié. A Paris
en 2008 j’ai assisté à des pogroms effroyables certains soirs de
sortie avec des collègues de bureau antiracistes forcenés. Ils
ont vus comme
moi, mais n’ont pas été choqués.
C’est la démonstration que la réalité n’est pas objective. Que
c’est une question de point de vue. Que tout à vocation à tourner
combat, débat, argumentations interminables, incompréhension
diviseuse, que tout est politique. Que les salauds s’en vont
impunis. Que c’est FOUTU.
Amsterdam,
Londres, Newcastle, Edimbourg, Frankfort, Munich, Nhatrang, Saïgon,
Hongkong, Tokyo, Lisbonne, Zagreb, Alger, Casablanca, Pékin,
Bangkok, Barcelone. De toutes ces villes où j’ai résidé plus
d’une semaine Paris est sans hésitation la ville la plus
dangereuse. La ville ou la violence est la plus évidente, palpable,
extrêmement insidieuse et sournoise, articulée, consciencieusement
innervée par des Gérard Noiriel en haut et leurs filles Blanches à
Black en bas, tout un processus de destruction parfaitement légal et
tranquille. Fin de la civilisation. Retour à la nature. La sélection
naturelle a intérêt à ce qu’il y ait de violents combats au
préalable. Lire « Le
gène égoïste »
de Richard Dawkins. A Paris se déroule la sélection fasciste des
aryennes antiracistes.
4/ PONT
DES ARTS
Ça
fait un mal de chien la sélection naturelle lorsqu’elle ne vous
sélectionne pas. C’est dans la rue ou sur Facebook qu’elle est
la sélection. « Anne
is with her lover for the weekend »,
«Carolina
is in a relationship »,
« Abigail
is getting married »,
« Elaine
and Paul are now friends »… Le
temps avance. C’est pourquoi il faut avancer aussi. Parce que le
combat, la lutte se joue là en ce moment, partout, tout le temps,
inépuisable, insatiable… Parce qu’ on ne peut pas empêcher les
gens de se mettre ensemble, que cela se fonde sur des démarches
affirmatives, directes, spontanées évidentes… rien à voir avec
les démarches « de résistance » tarabiscotées,
lourdes, épuisantes, chronophages… On ne peut pas dédier sa vie à
la vengeance, on ne peut pas nager à contre-courant du torrent de
l’histoire. Le torrent de l’histoire il est là il passe sous le
pont des arts, ses eaux glacées je les sens sur mes chairs
rétractées, le monde en déploiement et moi en rabougrissement, le
torrent de l’histoire sous la forme de ce groupe d’étudiants à
Sciences-Po en piquenique, du temps qui est passé qui ne reviendra
plus, sous la forme de ces deux meufs qui jouaient aux folles en
smart juste avant au feu rouge avec Booba « numéro
10 dans ma team »
à fond fenêtres ouvertes, sous la forme de cette jeune nana en
tunique rayée bleu marine accoudée à la rambarde. Le torrent de
l’histoire pas qu’en mot, là déployé, actualisé, bien réel.
La
nana en tunique je la regarde une seconde en passant vite. C‘est la
sur-femme de Paris. Race blanche, une silhouette toute en longueur
soulignée par tunique et leggin, arrêtée en bas par des spartiates
et en haut par une ligne de paupières et de sourcils très longue et
très fine. Elle a les yeux clairs, les cheveux châtain clairs à la
racine et blonds aux pointes. Elle se les est noués en chignon haut
derrière le crâne et ça forme une adorable cerise sur le gâteau
ses cheveux, une pomme de la tentation, une petite botte de foin
bombée de santé comme ça au dessus de son crâne... Elle me
rappelle cette Anglaise de Stoke-On-Trent. Un flirt de stage
linguistique quand j’étais ado... Chelsea Hawthorne... Elle avait
ce blond surnaturel, qui retombait en baldaquin de chaque côté de
ses joues hautes, ça lui cachait comme ça une partie du visage. Ses
cheveux ça lui faisait un voile à Chelsea l’aryenne, un drapé de
pudeur... Tout en nuances et chasteté c’était, sa
beauté... Fallait s’approcher. Plus on s’approchait d’elle et
plus elle était belle. C’était une de ces filles à laquelle on
repense encore des années plus tard en regardant le plafond et en se
demandant si on a vraiment réussi sa vie. Elle ressemblait à Naomi
Watts.
Qu’une
pareille fille te sourit et c’est la vie qui te sourit, qui se
déploie pleine de santé en lèvres charnues bien roses sur fond
blanc, c’est la vie parsemée ça et là de grains de beauté,
c’est la vie qui s’ouvre à ton passage un soir de juillet sous
les pommiers… C’est la vie incarnée en mille Chelsea Hawthorne
raviveuses de flamme pour te rappeler sans cesse à l’éveil, au
monde… Pour mettre du charbon dans ta fournaise. C’est être
naturellement élu, choisi, sélectionné. C’est la sélection
naturelle. C’est sentir la vie comme souffle, comme force vitale,
un torrent irrésistible qu’on ne peut nier ni contredire. Pour en
être de cette fête là il faut être beau.
Quand tu es beau tu ramasses les filles les plus jolies, les plus
coquettes les plus apaisées les plus caressantes les plus dociles
les plus agréables à baiser... Que du bonheur. Du easy
flirt, du easy fuck tout dans la douceur dans l’aller simple vers
la beauté.
Enfin
merde. Je rêvasse à tout ça comme un rêvasseur imbécile,
oubliant que j’ai 26 ans... Que c’est fini, que c’est parti au
vent tout ça, l’innocence de Naomi Watts, la beauté sublime, la
bouleversante, la vie dans la vie… Que c’est passé. Qu’à 26
ans déjà c’est plié. Qu’il faut se trouver un travail et s’y
coller, et que tu n’as pas vocation à faire quoi que ce soit
d’autre, et que c’est tout. Qu’il faut aller s’assigner 12
heures par jour à résidence dans un bureau... Au bureau, à mille
années-lumière de Chelsea Hawthorne c’est la brutalité des
« collègues », et de leurs faces épuisées déjà
fanées en cheveux, en contrastes en couleurs. Quotidien bannissement
du bassin d’Aphrodite, quotidien, exil. Et pendant ce temps dehors
les Louis Garrel de Paris ils ne bossent pas, ils kiffent bite au
vent déployée sûrs d’eux ils les baisent à l’aise, ils ne
comprennent pas pourquoi il y a des guerres eux, ils trouvent que
vivre ce n’est que du fun.
5/
PLACE DE L’OPERA
Voilà
l’Opéra Garnier... Allez j’entre consulter le programme...
Qu’est-ce qu’il y a de prévu cette saison ? Rien que des
concerts pouraves et des opéras inconnus... Les ballets ? Que
des trucs modernes et sans lendemain. Plus de ballet classique.
La Bayadère, La Sylphide, Giselle tout ça y a plus... Et puis le
ballet c’est désespérant de toute manière. Le public autour de
toi c’est désespérant… Les gens ne s’habillent pas, ils ne
jouent pas le jeu. C’est des vieux rien que des vieux qui viennent
passer le temps, des mal habillés des sans-maintien des relâchés,
vraiment c’est affreux à regarder. En somme il n’y a de salut
nulle part ? Tout mon beau monde dans la benne à ordure emmené
en décharge ?
Et
à l’Opéra Bastille alors y a quoi ? On annonce que « Aurélie
Dupont danse Siddhârta ».
Retour des aryennes à leur berceau de l’Hindus ? L’Opéra
Bastille je le vois d’ici car je le connais bien... La place de la
Bastille... Je vois sous l’affiche prometteuse les marches en
promontoire dominant Blanches et Blacks qui déambulent sourcils
froncés ton sur ton avec leur époque, dans leurs mains sponsorisées
fondent lentement des Macflurry emportés du Macdo tout proche. Il
n’y a pas de combat car pas d’ennemis, en effet de Macdo à SOS
Racisme ils sont tous d’accord : anal interracial. La Bastille
et son sens giratoire, la plaque tournante de la tectonique des
peuples jetés les uns sur les autres dont les différences
disparaissent, vidées en un siphon par la bonde d’évacuation de
l’histoire, elles tourbillonnent les couleurs en spirale direction
le vide comme c’est beau... C’est l’allégorie du Macflurry
lorsque les races en un final soubresaut copulatoires s’éteignent,
multicolores une dernière fois. Je me trisse par les grands
boulevards.
Y
a nulle part ou se défouler dans cette ville de merde, c’est ça
qui tue. Pour bien faire il faudrait que fermer sa gueule, emprunter
les gentils bus gratuits au colza de Ségolène, et payer ses repas à
la cantine avec des chèques-jeunes qui permettent de bouffer 3 repas
par jour suite au scandale d’une étude de l’INSEE qui montrait
que les étudiants ne bouffent que 2 fois par jour faute
d’argent. Mais on s’en bat les couilles de ça !
C’est pas ça qu’on veut ! On veut se sentir vivants merde !
Les chèques-jeunes on s’en bat les couilles !
Que
reste-t-il pour se défouler à Paris ? Y a bien que le Parc des
Princes ou bien le dérouillage à la chance sur une racaille isolée,
je vois que ça. C’est rare la racaille isolée. Encore plus rare
la isolée qu’a pas de couteau dans la poche... Défoncer la
racaille : voilà un geste humaniste. Souvenons-nous de cet
extrait d’un morceau d’Iam sorti en 1997 « j’ai
dû trouver un exutoire pour passer mes nerfs et un skin a morflé
des coups de black et d’équerre »...
Mais un racailleux c’est quoi d’autre qu’un skin non-blanc ?
C’est tout pareil : crâne rasé, déplacement en bande,
violence lâche, racisme, code vestimentaire et artistique
spécifique... Un racailleux c’est un skinhead, c’est un agent de
la haine raciale. Rien d’autre. Il faut opposer un authentique
humanisme à cet authentique despotisme.
La
lutte c’est la lutte contre les autres hommes et pour toutes les
femmes. Si tu ne baises pas, si tu n’es pas aimé d’une femme
aimée, alors Paris c’est quoi ? Paris c’est l’immobilité
dans un petit espace entouré de gens prétentieux et mal élevés.
Exactement le contraire de ce qui est raisonnablement souhaitable au
solitaire à savoir évoluer dans de grands espaces avec des gens
humbles et civilisés. J’aimerais bien être un Mormon bâtisseur
de ville moi. Mais on ne peut pas découvrir deux fois l’Amérique.
C’est bien la rencontre avec la féminité qui est la seule
aventure restante. Etrange époque que la nôtre, ou les hommes
cherchent l’amour.
J’ai
plusieurs époques de retard. Ayant grandi à l’ombre de l’esprit
français classique je croyais en gros que « la Grèce
recommencerait »... Qu’au lycée on aurait un mai 68
littéraire, une fougueuse élévation du niveau, qu’on
rivaliserait d’esthétique avec les générations précédentes,
qu’il se passerait quelque chose... Il ne s’est rien
passé. Ceux qui ont triomphés sont ces fils de riches à larges
épaules qui faisaient du skateboard et étaient très bons en maths.
Des bénis des dieux qui ont ensuite fait des ESC avec option finance
cette discipline toute en rationalisations et abstractions dans
laquelle la moindre information la moindre parcelle de vie est
aussitôt convertie en graphique et en courbe. Lorsque l’élite
d’un pays a pour vocation de s’en aller triturer des graphiques à
Londres, que c’est ça le maximum de la réussite sociale,
qu’est-ce d’autre que le triomphe du cynisme ? Que le
triomphe des « eaux glacés du calcul égoïste » ?
C’est notre époque. Bon. Je parle comme un looser.
6/
LE 10ème ARRONDIISSEMENT
J’ai
beaucoup marché. La longue flânerie m’a mené jusque dans des
rues inconnues du 10ème arrondissement.
Voici un parc, enfin un square, une sorte d’étendue bétonnée
avec des bouts de verdure ça et là... mais complètement saturées
de peuple !... Les pelouses sont en train de crever écrasées
sous les culs nombreux des squatteurs affalés, des gens qui
consomment du Paris, des gens venus chercher « un peu de calme
à Paris » comme dans le titre de leur guide touristique frais
et différent pour
apprécier les délices cachés de la capitale. Mais il n’y a PAS
de Paris-secret, de Paris-bon-plan. La moindre once de pureté ?
Aussitôt la curée ! Lévi-Strauss a dit qu’il n’aimerait
pas vivre dans le monde qui vient car il lui semble que l’humanité
devenue trop nombreuse entre dans un processus d’auto-empoisonnement.
En ce samedi 21 Octobre 2008 à 17h54 j’ai en contemplant ce square
l’exacte illustration de cette idée d’empoisonnement. Le long
des petits sentiers, les bosquets dissimulateurs de merdes dégagent
une odeur insoutenable. Accaparant les bancs, des nuées de réfugiés
en haillons de type Afghans-Turkmènes attendent une soupe populaire
qui sera donnée à proximité. Il n’y a plus de frontières. Nous
habitons sur le tracé d’une autoroute en construction. Le soleil
se couche derrière un voile de crasse opaque. Nuage ?
Pollution ? On ne sait. Il y a « débat ». Débat
partout, pour tout, tout le temps. Débauche d’informations. On ne
comprend plus rien. On ne comprend plus rien à rien... Un panneau
là. « Square Villemin » c’est marqué. Bondé,
irrespirable, confisqué le square Villemin. D’échappatoire nulle
part. C’est une horreur, une horreur… Il doit y avoir un mensonge
sur les recensements dans cette ville ce n’est pas possible. Paris
ce n’est pas 10 millions d’habitants mais sûrement 15, sûrement
20 millions ! Au moins 20 millions d’egos énormes nourris à
la télé aux shoppings aux magazines émancipateurs d’égoïsme,
20 millions de bouffe trois fois par jour et autant de torrents de
pisse et de merde dévalant les tuyaux, irriguant ce marécage
putride, 20 millions de pathos de désirs copulateurs d’énergies
qui ne respire pas assez, 20 millions de populace disparate qui
s’entasse dans ces boxes de porcherie nommés appartement, favelas
instituées.
En
revenant vers la place de la République je croise au passage-piéton
une bande de jeunes beaux gosses hype tous en fringues superposés,
avec des capuches, des cols en jean par-dessus un cuir, des Ray-Ban,
des mèches de cheveux drus par-dessus les Ray-Ban... Un des types en
s’engageant sur le passage est occupé à ouvrir son paquet de
cigarette. Il tire la languette et jette le mince film plastique qui
s’en va mourir par terre aussitôt. 200 ans ça met pour
disparaître ces trucs, ce n’est pas biodégradable. A Paris on
investit beaucoup sur soi et l’on se désinvestit de l’espace
alentour, on s’y défausse. Ou qu’ils vont les beaux gosses
hype ? Sûrement passer une bonne soirée à échanger des
bonnes blagues, à flirter avec des nanas à leggin et vernis qui
leur diront qu’ils sont beaux, qui leur confirmeront qu’ils sont
bien vivants. Tard dans la nuit, étalés sur un canapé de bar-boîte
ils se feront murmurer des confidences de petite nana à l’oreille
en jouant au mec impassible qui « gère », au mec qui est
moins amoureux. Ils auront le dessus dans la lutte. Ils iront au Cab,
au Paris
Paris,
au Batofar,
à la Flèche
d’or,
au Gibus,
au machin... Ils iront respirer le « Paris rêvé ».
Moi
j’irai pas. J’irai pas me faire câliner sous le menton par une
petite reine approchant un frais minois lèvres rouges qui rient,
découvrant dents blanches alignées… Embrasser, enlacer… J’irai
moi jamais voir tout ça. J’irai à Villiers-sur-Marne sur la ligne
du E. J’irai rendre visite à ma mère qui a déménagé. Le trajet
je le connais bien. Métro République, jusqu’à Haussmann, puis
attendre sur le quai du RER. Là dans le souterrain bondé il y aura
une écrasante majorité de Noirs. Peu après dans le train on
traversera un paysage urbain dévasté, et par la fenêtre les
quelques basanés portant des sacs « ED » que l’on
apercevra parfois se mouvant péniblement aux abords des barres
d’immeuble couleur saumon de Noisy-le Sec constitueront autant de
preuves de la vitalité de notre glorieuse république. Qu’ils y
viennent vivre au milieu de ça les gens tolérants qui nous donnent
des leçons sur l’accueil de l’autre. Le trajet n’en finira
pas... Nogent-le-Perreux... Les Boullereaux... béton et bouillasse à
perte de vue, nulle once de verdure... A la station Villiers sur
Marne, nous descendrons et monterons à pied sur les hauteurs
saturées, par la rue piétonne surpeuplée en ce jour de marché.
S’amuser à compter les Blancs parmi la foule sera une vaine
tentative : il n’y en aura pas un seul. A Villiers on trouve
quelques maisons en pierre meulières, petits manoirs charmants.
Comme ces îlots de terre dans certains torrents du Midi, qui
hébergent parfois un arbre mort. Après la rue piétonne je longerai
le trottoir qui fait face à la mairie. Le banc en bois sera vide
mais témoignera d’une occupation récente par les nombreux crachas
en arc-de cercle juste devant par terre. Dans les quarante à
cinquante molards bien blancs bien bulleux. L’état des poubelles,
l’état des trottoirs et la tronche des gens feront planer un
sentiment de menace diffus et insidieux dans l’esprit du passant.
Ce sera la réalité.
Ma mère ouvrira la porte, le dîner sera prêt. Elle aura passé la
journée à le préparer. Parce qu’elle est isolée ma mère, comme
une femme divorcée de 53 ans. Elle est seule, stressée et
stressante, coincée dans cent contradictions par une fierté
stérile, avatar de la pensée individualiste-critique-féministe
post soixante-huitarde elle même chiée des ultimes relents de 1789.
Enseignante de lettres qui ne fait jamais grève, vote UMP et gagne à
peine 2000 euros par mois elle est bel et bien isolée. J’ai
mal et honte rien qu’à imaginer sa solitude continue, ses
insomnies, ses résignations à attendre sur le quai un RER retardé
entre une publicité pour Danette et une autre pour le concert à
Bercy d’un Afro-américain menaçant, ses samedis entier perdus à
emmener une voiture pourrie au contrôle technique, se faire
bousculer et insulter à la caisse du supermarché, rentrer seule
avec des courses… Elle a rempli son 2 pièces misérable de
quantités d’objets cache-misère : ici des souvenirs de
voyages à une époque ou elle avait un meilleur niveau de vie, là
une lampe qui ne marche pas, ici des robots de cuisine qui servent
deux fois par an, et puis des centaines de livres… Elle n’a plus
personne, ses deux parents sont morts depuis plusieurs années, ils
sont enterrés dans un pays étranger, laid et hostile au fond d’une
campagne introuvable tout au bout de la raison, aux confins de la
civilisation. Un pays affreux qui à au moins le mérite de nous
rappeler combien vivre en France est une grâce de D. Sur une table
roulante dont un des pieds est cassé il y aura les magazines Paris
Match, Bien
dans ma vie et Esprit
femme.
Au hasard avant de manger, je feuilletterai l’interview de Alice
Taglioni dont la photo en couverture inclinant à croire qu’il
subsiste de la blondeur en France sera augmentée de la citation « Je
me livre avec plaisir à l’art de la sieste, c’est un remarquable
moment de déconnexion totale »,
puis lirai des bribes du reportage « Mai
68 mon héritage »,
du dossier « Spécial
rajeunir : 10 ans de moins »,
des pages « soirées
people »…
Arrivé tout au bout du capharnaüm de cette journée j’aurai alors
plus nette que jamais l’image de la lutte qui est la mienne. Occupé
à débroussailler ma voie dans la jungle je tranche les lianes et
les joncs qui repoussent comme des têtes de l’Hydre. Je lutte
contre le déclassement.
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