La
porte lambrisée s’ouvre et l’on pénètre tels des flèches
alcoolisées dans l’antre, dans la « soirée qu’il ne
faut pas rater»… Une semaine qu’on nous tanne dans tout Grenoble
à propos de cette fête ou l’on est évidemment pas invités.
Mais
nous voilà envers et contre tout sous trois mètres de plafond à
moulures et sur deux cent mètres carrés de parquet ciré, à nous
frayer passage dans la foule compacte de jeunes filles aux cheveux
lisses et de fils à papa à larges épaules, des skaterisants des
surferisants à baggys larges. Fin 2005 on a 22 ans on est
complètement pétés au vin du vernissage précédent… C’est le
sentiment d’invulnérabilité de la montée d’alcool alors que
les enceintes du grand salon crachent les premières notes de « get
yourself a loukoum »
Lecteur
laisse le son tourner et suis moi de près. Dés que retentit
l’espèce de flûtiau danseur de serpents Gyom me précédant
agrippe une jolie nana au style paysanne-chic qui ressemble à
Emmanuelle Béart et entreprend de danser un truc non-conventionnel.
Manon des sources s’exécute avec un sourire gêné car on
voit qu’elle n’aime pas trop, cependant ses copine la
regardent alors elle se résoud à jouer celle qui s’éclate quand
même un peu. C’est un rock endiablé, du Tisserand des Sables
d’Olonne, n’importe quoi.
Cyril
et Seb se ruent sur le bar et font main basse sur une bouteille de
Rhum « Nestora » une variété réputée rustique et
fortement tenace au crâne. Voilà qu’ils farfouillent piochent à
pleine poignées dans les saladiers de chips, ce sera toujours ça de
pris pour moins dépenser en kebab de nuit plus tard, autour d’eux
ça chipote on les regarde horrifiés.
Craignant
les embrouilles je jette un coup d’œil circulaire… Les fils à
papa à larges épaules Volcom sont eux calmement à tchatcher des
meufs de leur classe sociale, pas du tout influencés par le son ni
l’alcool. D’ailleurs ils ne boivent pas ils fument tu comprends,
et du shit « il est bon ce tamia ». Il y a aussi ces mecs
qui aimeraient être parisiens, ces p’tits mecs efféminés avec
les lunettes noires carrées de designers avant-gardiste autrichiens
et d’autres encore dans le style diaphane pédé sidaïque à
keffieh. On est à Grenoble, Paris c’est loin Paris
c’est le top du top pour eux, La Mecque qui diffuse des effluves de
style. En te prosternant dans la bonne direction p’têtre bien que
tu en capteras les relents. Question nanas c’est parsemé ça et là
de quelques caucasiennes très florales, aux corolles admirablement
épanouies. Et moi je bourdonne d’un vol mal assuré, pas question
d’aller leur parler. Et enfin dans le coin près des fenêtres
royales, derrière ses platines se tient le plus cool de tous, le
drapé le Bokassa 1er de
la coolitude en souliers ailés le deedjay tu comprends. Le deedjay
qui mixe. Le deedjay qui écoute que d’une oreille dans le casque
et qui fait semblant de gérer, de toucher à des boutons comme un
sourcier de la zique. « mmh
oui… attendez… je crois que le style se trouve par là suivez
moi».
Comme s’il avait une activité productive de zique, le sale
imposteur parasite. J’ai toujours rêvé de bastonner un deedjay.
Je
bigle un type sur un canap en train de rouler un joint. Allez je vais
lui casser un peu les couilles… A peine trois pas dans sa direction
qu’on me chope par le bras « hey mais Lounèèès t’es
là ? » Merde c’est une meuf du lycée grosse et
névrosée qui me kiffait à l’époque. J’attire beaucoup ce
genre de meuf. Et les gayz aussi. Ca veut dire que je leur parais
sensible donc fragile donc pas trop regardant sur l’apparence. Je
gère la chieuse comme un tropézien chevronné « Hèèèè
Joannie ça va ? C’est vraiment super que tu sois là ! »
avec une tape sur l’épaule et aussitôt un mouvement latéral de
90°.
Je
tombe là sur Cyril dans les fumées qui se distingue tchatchant une
nana à leggins, cependant il semble miser sur la technique dite du
tribun sous deuspi, approche qui consiste à accaparer
complètement l’interlocutrice en plaçant le visage à 10
centimètres et à l’abreuver d’un flot de paroles au débit très
rapide. Un plan drague qui marche à tous les coups tinkiète.
WOUHOUHOU c’est
le kiff les mecs ?? Que je braille à l’américaine en
alpaguant finalement le rouleur de joint. Je le chope par le cou
comme un pote mais très serré, limite prise de catch « Meeec
ça fait PLAISIR d’être là et de croiser des boulées de tête de
PUTE dans ton genre !! » il est tout mouligasse le
bonhomme « eh mais c’est bon toi j’te connais pas
d’accord ? » alors j’improvise « Si si mec tu
t’rappelles pas ? A l’occupation de l’UPMF là les AG ?
Le local autogéré tout ça ? » mais voilà que retentit
une clameur sur ma gauche.
Me
retourne. Là au centre du salon c’est Gyom courbé en avant comme
au temple bouddhiste, le parquet sous lui éclaboussé d’une
projection grise « avec morceaux ». Pourtant d’habitude
il ne vomit jamais. Ca doit être son rock qui lui a fait tourné les
alcools.
Donc
là on est dans la merde
Dix
secondes plus tard c’est l’émeute. Gyom aurait répondu à
un mec en keffieh qui lui disait de nettoyer son vomi de fermer sa
gueule espèce de sale *******. La rumeur se répand comme une
traînée de poudre, je vois un acolyte du type à keffieh se tourner
vers un groupe de filles théâtreuses grosses et dire « il a
dit sale *******!» COMMENT ?? s’exclame la plus grosse
de toutes, et elle le répète à d’autres copines derrière qui
écarquillent les yeux, qui le disent à d’autres encore alors le
feu se propage, les flambeaux s’allument… Et tous les tisons se
retournent contre nous ! « bon alors maintenant vous
DEGAGEZ ! » qu’elle hurle bientôt la maîtresse de
maison protégée par quinze chapons qui espèrent la niquer plus
tard. Il se forme un train humain de wagons tous solidaires contre
nous, une mécanique des fluides se met en place, on est poussés
acculés dans le couloir et bousculés par ce compact remorqueur
humain vers la sortie, comme une merde vers l’anus « ouvrez
la porte ! » gueule un type, loquet qui clinque, sphincter
qui s’ouvre, totale continuité du mouvement de poussée, une
poussée sans pause ça y est on est sur le palier « plouf »
dans la cuvette. Et la porte se referme rageuse « VLAAM ! »...
Dans le soudain silence de mausolée nous sortons tous nos bites et
pissons sur le paillasson à tour de rôle.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci d'utiliser, au minimum, un pseudo.
A défaut, je supprimerai le commentaire.
Merci à vous!