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mardi 18 août 2015

Elle


Envie de parler que de nanas en ce moment. Ce doit être l’été.
Le 5 Juin 2007 dans un bar de Lan Kwai Fong, Hong Kong, elle discute avec un pote chinois à moi, un chinois francophone. Et puis le pote rentre chez lui, me laissant en plan avec cette inconnue. C’est une Caucasienne. Je fais plus que dans les Chinoises à cette époque là. D’ailleurs il ne faut pas croire que les Chinoises de Hong Kong sont faciles à choper quand on est Caucasien. Ceux qui disent cela confondent Philippines, Thaïes, putes Thaïes, Chinoises et Chinoises de Hong Kong. Ces dernières sont très farouches et empreintes d’une passion pour la « respectabilité ». Bon. Donc voilà une « sœur »... Je sens poindre les emmerdes. La première phrase à son intention sera  d’ailleurs : « qu’est-ce qu’on va pouvoir se dire maintenant ? ». Elle me le répétera souvent.
Ce soir là on fait la tournée des bars jusqu’à échouer dans un de ces établissements bondés comportant un « live band » philippin jouant des classiques pop et rock. On se fout dans un coin à une table haute avec des bougies. On rigole, c’est marrant de parler français avec cette fille, marrant l’interprétation des chansons, tout est sujet à se marrer. Je suis debout elle est assise sur un perchoir. Elle est ainsi presque à ma taille. Sur « Hotel California » (et le premier qui fait une remarque...) elle me chope la main et l’attire à elle et se la coince haut entre ses jambes qu’elle croise alors très serrées pour que je ne bouge pas de là. Sous sa jupe. Alpagué ainsi je ne peux plus m’en aller, j’essaie de me défaire de la prise mais je n’y arrive pas, et je ne cherche pas trop, et on s’embrasse, et c’est le début d’une brève mais belle histoire...
Elle s’occupe de moi elle m’invite partout... Je ne lui ai rien demandé. Elle dépense son fric, elle m’appelle quand je l’esquive, me rappelle, me dit de venir, qu’on va aller au cinéma, qu’on va aller au restaurant, qu’on va passer la journée sur une île calme loin de HK... Mais mince j’ai pas une thune... Et je veux pas me faire entretenir. Même si elle a plein de fric, qu’elle vit chez ses parents et travaille comme professeur d’anglais dans une école chinoise. Le statut de prof est très respecté à HK. Ce qui concrètement signifie : ça paie une blinde.
Je lui dit au téléphone qu’elle va pas me faire chier, que c’est pas une nana qui va me dire quoi faire. Mais elle est trop gentille alors je me bouge... J’y vais à son rendez-vous... On va au cinéma dans un centre commercial de Kowloon. Les centres commerciaux c’est tout un truc là bas. Les « Malls » blancs… C'est pas les « Quatre Temps », c'est pas « Lyon Part-Dieu »… C’est l’avenue Montaigne rentrée dans un décor de « 2001 l’Odyssée de l’espace ». Ou que vous êtes les racailles ? Vous venez pas ? On traîne à Lane Crawford… rien que les noms je me sens déjà un parfait bourgeois international, ''un qui sait''… Anne retire 4000 Hong Kong Dollars à un distributeur de la Hang Seng Bank, « quatre mille piâces », me rejoint ravie, reprend ma main, déclare qu’on va bien s’amuser. En chemin pour un cinéma on s’arrête à une exposition de photo au milieu des allées… C'est des photos en noir et blanc du HK des années 1960 à 2000… Avec l'ancien aéroport, celui qu'elle a connu à son adolescence…Y a des photos d'une manif ou elle avait été, elle se souvient... Marrant ces Chinois et ces Blancs ensemble dans une même nation… Autant les Blancs et les Noirs, je trouve que ça va pas très bien ensemble, autant les Blancs et les Chinois partagent semble-t-il beaucoup de choses : sens de la valeur individuelle, mérite par le travail, sens de l’honneur et de l’humilité, esprit d’entreprise, pragmatisme...
Elle ne se rend pas compte elle, de la beauté et de la quiétude qui l'environne en permanence, de la chance qu'elle a… Blanche citoyenne hongkongaise elle a la carte de résidente permanente, ne connaît que le Canada les Etats-Unis et Hong Kong, c'est-à-dire la civilisation et la jolie nature… Elle ne connaît pas Paris gare du nord, ni Villiers-sur-Marne, ni la promenade solitaire boulevard Saint-Martin un dimanche après-midi... D’ailleurs moi non plus à ce moment là... Elle est toute en ferveur pour la vie, très sociable très apte très gaie elle butine... Elle a toute confiance en l'avenir. Elle ne connait pas Grenoble et Paris, et l'Afrique à deux pas de la France, qui grossit, qui transpire sur nous là bas, qui déteint en racailles, en économie percluse de gauchisme en espace public accaparé d'imbéciles ''engagés'', toute cette ignoble merde elle ne connaît pas... Rien que d'y songer je tourne mauvais. J’ai honte, et peur surtout. Elle me trouve sombre, elle est toute interloquée parfois, me dit que je suis méchant avec elle.
Parce que dans son bienveillant bleu regard dans ses rires dans ses gentilles caresses y avait au bout le bonheur oui voilà, être aimé, l'idée que la vie puisse être une progression non une régression, l'extraction tant désirée de la mare de merde ou se débat le lambda travailleur blanc dans son pays. Mais aussi y avait de la peur. La peur qu’on m’enlève tout ça, toute la beauté toute la santé de cette fille et de cette vie, ce triomphe expatrié... J’avais pas de visa de travail. J’en ai jamais eu. Et pourtant j’ai fait des tas de jobs. Du jour au lendemain on pouvait me dégager d’ici. Pendant ce temps en France, 200 000 immigrés par an et des clandos à peine reconduits... Et des allocs et des manifs et des salopes à Paris-Bastille... Tout pour eux. Ici rien pour moi. Marche ou crève. Moi je suis seul. Eux ils sont massifiés et soutenus par la masse. Voilà exactement mon avis à ce moment là. Alors si cette Anne on me l’enlève aussi parce que j’ai pas assez de thune, parce que je peux pas suivre la marche, parce que je suis trop sombre à l’intérieur de ne pas pouvoir suivre la marche... Alors si ça tourne comme cela ce serait vraiment trop dégueulasse...
Je pense à tout ça, et ça me fout vraiment vénère... les sourcils froncés trahissent mes émotions faute d’avoir un « beau visage impassible »... Anne n’apprécie pas « J’aime pas ton air là ! Change d’air ! » qu’elle s’exclame. Mais avec son accent pas possible ça donne « change d’aère ! » alors j’éclate de rire et elle aussi et on se check comme des potes mais des potes qui sont homme et femme et qui sortent ensemble et qui se trouvent très biens comme ça.
C’est une bien jolie petite nana. Elle a les yeux tous bleus et l’arête du nez toute fine, un corps mince et musclé... Des jambes qu’elle a blanches et « déliées » et douces et fines jusqu’aux hauts confins des cuisses... Sous des jupes ou des shorts toujours. Une vraie Chinoise la petite Aryenne. La Loire et le Saint-Laurent coule dans ses veines, elle est née au Canada à « Sainte-Hyacinthe » dans une région ou toutes les noms de villes commence par « Saint » comme en Vendée. Ostie. Ses frères et sœurs ont tous des prénoms de l’Ancien Testament. Son père est pasteur protestant, du coup elle est protestante aussi. Je la fais chier un peu avec ça. Je lui demande contre quoi vous protestez vous autres ? Contre le « poppish plot » hein ?... Des conneries pour l’énerver... Et ça marche souvent, elle tourne « chat énervé » elle se hérisse elle se fige, elle montre les canines, c’est la mimique des Anglaises, on dirait qu’elle va cracher... Petit chat aux yeux bleus vous êtes bien jolie, voici caresses et jeux serez-vous mon amie ?  Quand elle parle anglais elle est américaine mais quand elle parle français voilà qu’elle a un accent et des tournures de phrases d’un autre âge... Je pense vaguement comme ça que les « Filles du Roy » venaient toutes de régions au nord de la Loire... Je pense à la Loire, à Blois à tout ça... Rêvasseries... que le véritable génie français s’accomplit lorsqu’il essaime sa beauté singulière dans le monde... En comparaison de son génie, la France essaime trop peu. Il faut des Dantec, des Montcalm des Alexandre Yersin, des La Bourdonnais, des Marcel Bigeard. Il faut des pères français pour le monde. Il faut des pères. « Il faut »... J’ai envie de gueuler ça, lyrique. Tel Drieu La Rochelle la tête pleine de jeunesses se fortifiant dans des stades en marbre blancs, Drieu contemplant la lande s’écriant  « Il faut une nouvelle Europe ! »... Je pense à tout ça, je pense trop...
Anne me tire de la rêverie. Elle est assise face à moi dans un superbe restaurant « westerner » du mall « Pacific Place » entre un Louis Vuitton et un Armani Casa, et l’on mange des steaks magnifiques, du bœuf pas du porc, un vrai luxe à Hong Kong. Pour une fois c’est moi qui invite. Anne est en pleine plaidoirie sur le modèle colonial anglais. Elle n’aime pas la mainmise de Pékin sur Hong Kong. Elle soutient que tout va de mal en pis depuis la rétrocession aux Chinois en 1997... que HK c’était mieux avant, quand ça appartenait aux Anglais.... qu’elle a connu cette époque là, « Quand y avait les Anglâais ! »... Elle ne se sent bien que dans le Commonwealth. Je suis d’humeur taquine,  je lui dit qu’elle n’y connait queudale, que les Anglais c’est rien que des enculés des gueux des sales pouilleux bouffeurs de guano, que c’est les Céfrans qui leur ont appris à parler une langue évoluée, que tout ce qu’il y a de beau de raffiné de civilisé dans leur culture de merde vient des Céfrans et seulement des Céfrans, là ! Voilà !... Alors elle s’énerve elle dit « mais comment ça là ? » en faisant une mimique, cette moue typiquement anglo-saxonne avec la mâchoire, ce truc de cheerleader d’American Beauty qui trouve que c’est weird, qui élude en disant « he’s just... you know... anyway... »... La jolie petite nana...  Je lui dis que l’anglais c’est une langue pour  primitifs tout juste capables d’articuler 200 mots de vocabulaire que c’est de la merde, de la « mârde », que c’est la bonde d’évacuation du langage, que c’est grossier que c’est barbare, que c’est un truc de pouilleux enculeur de chèvre dans les Highlands voilà... Alors elle s’insurge parce qu’elle est professeur d’anglais, elle dit que non c’est pas vrai ! Que « c’pas çadu toute ! »... Et là je lui envoie une bordée,  comme quoi  les Anglais c’est que des sales jaloux bouffeurs de merde, copieurs d’architecture,  incapables de la moindre sensibilité, que Napoléon a été forcé à la guerre par leurs manigances calculées sur l’île de Malte, que c’est rien que des gougnafiers tailleurs de silex infoutus de changer une ampoule, qu’ils habitent sur une île pourrie froide et humide qui voit jamais le soleil, que Gainsborough est un pompeur de Claude Gelée, que la devise des armoiries de leur couronne d’imposteurs est écrite en céfran, que le film Barry Lyndon a valeur de document balzacien, que le XV de la rose pue le fumier qu’ils vont embrasser la fleur-de-lys ces cochons, qu’on va leur apporter la civilisation toi et moi belle gosse de ma race aux yeux bleus, que moi je connais l’Histoire moi... Mince quoi c’est vrai... Elle me dit « d’aller manger d’la mârde »... et j’éclate de rire et elle éclate de rire et on se fait plein de bisous sur la banquette tous les deux, je la serre dans mes bras je la hug ma petite nana et elle me dit « oh mon baby » dans l’oreille avec son accent. Je la lâche vite sinon je vais tomber en amour comme on dit chez elle. 
Souvent je la retrouve le soir après le travail. Quand je veux bien. Parce que souvent, rater des ventes me fout dans une humeur de détestation du monde et je lui dit de me foutre la paix et je lui raccroche au nez. C’est vraiment un truc de bâtard quand même... Elle me rappelle et me dit « mâ non ne va pas chez vous ! Viens chez nous ! ». Ce qui signifie ne va pas chez toi, viens chez moi. Elle habite à Fan Ling, juste à côté de la frontière avec la Chine. Elle vit comme en Occident, « normalement », pas du tout comme moi qui réside dans un taudis au fin fond de Kennedy Town tout à l'ouest de l'île. Elle m’emmène chez des amis américains à elle qui habitent dans une MAISON. Une maison à HK... Au dîner ils disent une prière avant de manger mais ne se signent pas. Je leur demande pourquoi. Ils disent que ce sont les Catholiques qui font ça. Au retour dans le taxi on est un peu pétés. Anne regarde une publicité pour un nouveau programme immobilier du groupe Sun Hung Kai qui vient de s’ouvrir à la location. A partir de 10 000 Hongkong dollars pour un grand studio à Kowloon TST avec vue sur la baie. Autant dire que c’est donné. « t’as vu ça c’est dans nos moyens ? ». Une nana qui me propose d’habiter avec elle. Je lui dit merde. Je suis un horrible connard. Je l’entends expliquer la direction de chez elle au chauffeur. En chinois. Elle maîtrise parfaitement la langue la cachotière. Vas-y, parle chinois que je lui demande... Elle ne veut pas. Elle a des « qualités cachées ».
Un dimanche soir sur une terrasse voici qu’une brise légère balaie gentiment l’écrasante chaleur de la journée. Etalés sur des canapés d’un bar installé sur le toit d’un centre commercial nous dominons la baie... En contrebas les cargos, les paquebots passent lentement en majesté... Il est minuit, ils s’en vont à Singapour, en Australie, aux îles Marshall... Parce que le cœur du monde bat ici à Hong Kong, et il pulse l’énergie à dix mille kilomètres à la ronde, depuis cette toute petite minuscule cité-Etat, l’Athènes de l’Asie enchevêtrée de buildings low-costs de tours de bureaux high-tech, et de maisons coloniales... Des maisons coloniales de riches expatriés chez qui je vais le samedi pour donner des cours de soutien à leurs enfants. Des tours de bureaux que je visite en semaine, et dont je connais par cœur les noms, et les principales boîtes qui y résident, et les directeurs et « Office Managers » qui y travaillent. C’est mon boulot de le savoir... Anne et moi on ne parle plus, on regarde devant nous. Toutes ces tours sont alignées sur fond noir comme pour la photo de classe. C’est tout plein de halos le paysage nocturne, et puis clignotant de petites lumières dans les buildings ça et là au loin, au très loin de l’autre côté sur le continent chinois de l’autre côté du bras de mer... On est biens. C’est chez moi ici depuis un an. C’est chez elle aussi, depuis onze ans. On est deux toutes petites personnes frère et sœur de la minorité caucasienne de HK, on est ensemble et on se parle français par-dessus les siècles et les kilomètres. On va bientôt se quitter. Elle va retourner au Canada pour passer une sorte d’agrégation et gagner encore plus de thune.
Un des derniers soirs je la retrouve dans un bar de Lan Kwai Fong. Elle est en minijupe, et sa frange lui cache un peu l’œil droit. Dans la baie un énorme bateau de guerre battant pavillon américain est amarré. Apparemment c’est le USS Washington de retour d’Irak avec des soldats qui ont faits leur temps. Ils font escale avant de rentrer à Los Angeles. On croise des soldats ricains partout en ville, et dans ce bar y compris. On ne peut pas les rater. Ils ont 18-20 ans et sont baraqués comme Hulk Hogan.
Bientôt on ne se verra plus. On se dit qu’on va se manquer. Qu’on va se revoir. Le genre de promesses sans lendemain. Comment ça finit ces choses là ? C’est pathétique.
Quelques mois plus tard, sur le chat de Facebook on échange quelques mots en franco-anglais. L’occasion pour nous de se poser mutuellement 2 questions : ou es-tu désormais, et que deviens tu... Elle me dit qu’elle est à Vancouver, qu’elle est super « happy », qu’elle a vu un film ou y avait un type qui lui faisait penser à moi... Elle me demande ce que je fais là en ce moment. Je lui dit que j’écoute les Pink Floyd. Le morceau  Wish you were here. Elle me dit que ça alors, c’est bizarre, elle est justement en train d’écouter ce morceau.




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