Envie
de parler que de nanas en ce moment. Ce doit être l’été.
Le
5 Juin 2007 dans un bar de Lan Kwai Fong, Hong Kong, elle discute
avec un pote chinois à moi, un chinois francophone. Et puis le pote
rentre chez lui, me laissant en plan avec cette inconnue. C’est une
Caucasienne. Je fais plus que dans les Chinoises à cette époque là.
D’ailleurs il ne faut pas croire que les Chinoises de Hong Kong
sont faciles à choper quand on est Caucasien. Ceux qui disent cela
confondent Philippines, Thaïes, putes Thaïes, Chinoises et
Chinoises de Hong Kong. Ces dernières sont très farouches et
empreintes d’une passion pour la « respectabilité ».
Bon. Donc voilà une « sœur »... Je sens poindre les
emmerdes. La première phrase à son intention sera d’ailleurs :
« qu’est-ce
qu’on va pouvoir se dire maintenant ? ».
Elle me le répétera souvent.
Ce
soir là on fait la tournée des bars jusqu’à échouer dans un de
ces établissements bondés comportant un « live band »
philippin jouant des classiques pop et rock. On se fout dans un coin
à une table haute avec des bougies. On rigole, c’est marrant de
parler français avec cette fille, marrant l’interprétation des
chansons, tout est sujet à se marrer. Je suis debout elle est assise
sur un perchoir. Elle est ainsi presque à ma taille. Sur « Hotel
California » (et le premier qui fait une remarque...) elle me
chope la main et l’attire à elle et se la coince haut entre
ses jambes qu’elle croise alors très serrées pour que je ne bouge
pas de là. Sous sa jupe. Alpagué ainsi je ne peux plus m’en
aller, j’essaie de me défaire de la prise mais je n’y arrive
pas, et je ne cherche pas trop, et on s’embrasse, et c’est le
début d’une brève mais belle histoire...
Elle
s’occupe de moi elle m’invite partout... Je ne lui ai rien
demandé. Elle dépense son fric, elle m’appelle quand je
l’esquive, me rappelle, me dit de venir, qu’on va aller au
cinéma, qu’on va aller au restaurant, qu’on va passer la journée
sur une île calme loin de HK... Mais mince j’ai pas une thune...
Et je veux pas me faire entretenir. Même si elle a plein de fric,
qu’elle vit chez ses parents et travaille comme professeur
d’anglais dans une école chinoise. Le statut de prof est très
respecté à HK. Ce qui concrètement signifie : ça
paie une blinde.
Je
lui dit au téléphone qu’elle va pas me faire chier, que c’est
pas une nana qui va me dire quoi faire. Mais elle est trop gentille
alors je me bouge... J’y vais à son rendez-vous... On va au cinéma
dans un centre commercial de Kowloon. Les centres commerciaux c’est
tout un truc là bas. Les « Malls » blancs… C'est pas
les « Quatre Temps », c'est pas « Lyon Part-Dieu »…
C’est l’avenue Montaigne rentrée dans un décor de « 2001
l’Odyssée de l’espace ». Ou que vous êtes les racailles ?
Vous venez pas ? On traîne à Lane Crawford… rien que les
noms je me sens déjà un parfait bourgeois international, ''un qui
sait''… Anne retire 4000 Hong Kong Dollars à un distributeur
de la Hang Seng Bank, « quatre
mille piâces »,
me rejoint ravie, reprend ma main, déclare qu’on va bien
s’amuser. En chemin pour un cinéma on s’arrête à une
exposition de photo au milieu des allées… C'est des photos en noir
et blanc du HK des années 1960 à 2000… Avec l'ancien aéroport,
celui qu'elle a connu à son adolescence…Y a des photos d'une manif
ou elle avait été, elle se souvient... Marrant ces Chinois et ces
Blancs ensemble dans une même nation… Autant les Blancs et les
Noirs, je trouve que ça va pas très bien ensemble, autant les
Blancs et les Chinois partagent semble-t-il beaucoup de choses :
sens de la valeur individuelle, mérite par le travail, sens de
l’honneur et de l’humilité, esprit d’entreprise,
pragmatisme...
Elle
ne se rend pas compte elle, de la beauté et de la quiétude qui
l'environne en permanence, de la chance qu'elle a… Blanche
citoyenne hongkongaise elle a la carte de résidente permanente, ne
connaît que le Canada les Etats-Unis et Hong Kong, c'est-à-dire la
civilisation et la jolie nature… Elle ne connaît pas Paris gare du
nord, ni Villiers-sur-Marne, ni la promenade solitaire boulevard
Saint-Martin un dimanche après-midi... D’ailleurs moi non plus à
ce moment là... Elle est toute en ferveur pour la vie, très
sociable très apte très gaie elle butine... Elle a toute confiance
en l'avenir. Elle ne connait pas Grenoble et Paris, et l'Afrique à
deux pas de la France, qui grossit, qui transpire sur nous là bas,
qui déteint en racailles, en économie percluse de gauchisme en
espace public accaparé d'imbéciles ''engagés'', toute cette
ignoble merde elle ne connaît pas... Rien que d'y songer je tourne
mauvais. J’ai honte, et peur surtout. Elle me trouve sombre, elle
est toute interloquée parfois, me dit que je suis méchant avec
elle.
Parce
que dans son bienveillant bleu regard dans ses rires dans ses
gentilles caresses y avait au bout le bonheur oui voilà, être aimé,
l'idée que la vie puisse être une progression non une régression,
l'extraction tant désirée de la mare de merde ou se débat le
lambda travailleur blanc dans son pays. Mais aussi y avait de la
peur. La peur qu’on m’enlève tout ça, toute la beauté toute la
santé de cette fille et de cette vie, ce triomphe expatrié...
J’avais pas de visa de travail. J’en ai jamais eu. Et pourtant
j’ai fait des tas de jobs. Du jour au lendemain on pouvait me
dégager d’ici. Pendant ce temps en France, 200 000 immigrés
par an et des clandos à peine reconduits... Et des allocs et des
manifs et des salopes à Paris-Bastille... Tout pour eux. Ici rien
pour moi. Marche ou crève. Moi je suis seul. Eux ils sont massifiés
et soutenus par la masse. Voilà exactement mon avis à ce moment là.
Alors si cette Anne on me l’enlève aussi parce que j’ai pas
assez de thune, parce que je peux pas suivre la marche, parce que je
suis trop sombre à l’intérieur de ne pas pouvoir suivre la
marche... Alors si ça tourne comme cela ce serait vraiment trop
dégueulasse...
Je
pense à tout ça, et ça me fout vraiment vénère... les sourcils
froncés trahissent mes émotions faute d’avoir un « beau
visage impassible »...
Anne n’apprécie pas « J’aime
pas ton air là ! Change d’air ! »
qu’elle s’exclame. Mais avec son accent pas possible ça donne
« change
d’aère ! »
alors j’éclate de rire et elle aussi et on se check comme des
potes mais des potes qui sont homme et femme et qui sortent ensemble
et qui se trouvent très biens comme ça.
C’est
une bien jolie petite nana. Elle a les yeux tous bleus et
l’arête du nez toute fine, un corps mince et musclé... Des jambes
qu’elle a blanches et « déliées » et douces et fines
jusqu’aux hauts confins des cuisses... Sous des jupes ou des shorts
toujours. Une vraie Chinoise la petite Aryenne. La Loire et le
Saint-Laurent coule dans ses veines, elle est née au Canada à
« Sainte-Hyacinthe » dans une région ou toutes les noms
de villes commence par « Saint » comme en Vendée. Ostie.
Ses frères et sœurs ont tous des prénoms de l’Ancien Testament.
Son père est pasteur protestant, du coup elle est protestante aussi.
Je la fais chier un peu avec ça. Je lui demande contre quoi vous
protestez vous autres ? Contre le « poppish
plot »
hein ?... Des conneries pour l’énerver... Et ça marche
souvent, elle tourne « chat énervé » elle se hérisse
elle se fige, elle montre les canines, c’est la mimique des
Anglaises, on dirait qu’elle va cracher... Petit
chat aux yeux bleus vous êtes bien jolie, voici caresses et jeux
serez-vous mon amie ? Quand
elle parle anglais elle est américaine mais quand elle parle
français voilà qu’elle a un accent et des tournures de phrases
d’un autre âge... Je pense vaguement comme ça que les « Filles
du Roy »
venaient toutes de régions au nord de la Loire... Je pense à la
Loire, à Blois à tout ça... Rêvasseries... que le véritable
génie français s’accomplit lorsqu’il essaime sa beauté
singulière dans le monde... En comparaison de son génie, la France
essaime trop peu. Il faut des Dantec, des Montcalm des Alexandre
Yersin, des La Bourdonnais, des Marcel Bigeard. Il faut des pères
français pour le monde. Il faut des pères. « Il faut »...
J’ai envie de gueuler ça, lyrique. Tel Drieu La Rochelle la tête
pleine de jeunesses se fortifiant dans des stades en marbre blancs,
Drieu contemplant la lande s’écriant « Il
faut une nouvelle Europe ! »...
Je pense à tout ça, je pense trop...
Anne
me tire de la rêverie. Elle est assise face à moi dans un superbe
restaurant « westerner » du mall « Pacific Place »
entre un Louis Vuitton et un Armani Casa, et l’on mange des steaks
magnifiques, du bœuf pas du porc, un vrai luxe à Hong Kong. Pour
une fois c’est moi qui invite. Anne est en pleine plaidoirie sur le
modèle colonial anglais. Elle n’aime pas la mainmise de Pékin sur
Hong Kong. Elle soutient que tout va de mal en pis depuis la
rétrocession aux Chinois en 1997... que HK c’était mieux avant,
quand ça appartenait aux Anglais.... qu’elle a connu cette époque
là, « Quand
y avait les Anglâais ! »...
Elle ne se sent bien que dans le Commonwealth. Je suis d’humeur
taquine, je lui dit qu’elle n’y connait queudale, que
les Anglais c’est rien que des enculés des gueux des sales
pouilleux bouffeurs de guano, que c’est les Céfrans qui leur ont
appris à parler une langue évoluée, que tout ce qu’il y a de
beau de raffiné de civilisé dans leur culture de merde vient des
Céfrans et seulement des Céfrans, là ! Voilà !... Alors
elle s’énerve elle dit « mais comment ça là ? »
en faisant une mimique, cette moue typiquement anglo-saxonne avec la
mâchoire, ce truc de cheerleader d’American Beauty qui trouve que
c’est weird,
qui élude en disant « he’s
just... you know... anyway... »...
La jolie petite nana... Je lui dis que l’anglais c’est
une langue pour primitifs tout juste capables d’articuler
200 mots de vocabulaire que c’est de la merde, de la « mârde »,
que c’est la bonde d’évacuation du langage, que c’est grossier
que c’est barbare, que c’est un truc de pouilleux enculeur de
chèvre dans les Highlands voilà... Alors elle s’insurge parce
qu’elle est professeur d’anglais, elle dit que non c’est pas
vrai ! Que « c’pas
çadu toute ! »...
Et là je lui envoie une bordée, comme quoi les
Anglais c’est que des sales jaloux bouffeurs de merde, copieurs
d’architecture, incapables de la moindre sensibilité,
que Napoléon a été forcé à la guerre par leurs manigances
calculées sur l’île de Malte, que c’est rien que des
gougnafiers tailleurs de silex infoutus de changer une ampoule,
qu’ils habitent sur une île pourrie froide et humide qui voit
jamais le soleil, que Gainsborough est un pompeur de Claude Gelée,
que la devise des armoiries de leur couronne d’imposteurs est
écrite en céfran, que le film Barry Lyndon a valeur de document
balzacien, que le XV de la rose pue le fumier qu’ils vont embrasser
la fleur-de-lys ces cochons, qu’on va leur apporter la civilisation
toi et moi belle gosse de ma race aux yeux bleus, que moi je connais
l’Histoire moi... Mince quoi c’est vrai... Elle me dit « d’aller
manger d’la mârde »...
et j’éclate de rire et elle éclate de rire et on se fait plein de
bisous sur la banquette tous les deux, je la serre dans mes bras je
la hug ma
petite nana et elle me dit « oh
mon baby »
dans l’oreille avec son accent. Je la lâche vite sinon je vais
tomber en
amour comme
on dit chez elle.
Souvent
je la retrouve le soir après le travail. Quand je veux bien. Parce
que souvent, rater des ventes me fout dans une humeur de détestation
du monde et je lui dit de me foutre la paix et je lui raccroche au
nez. C’est vraiment un truc de bâtard quand même... Elle me
rappelle et me dit « mâ
non ne va pas chez vous ! Viens chez nous ! ».
Ce qui signifie ne va pas chez toi, viens chez moi. Elle habite à
Fan Ling, juste à côté de la frontière avec la Chine. Elle vit
comme en Occident, « normalement », pas du tout comme moi
qui réside dans un taudis au fin fond de Kennedy Town tout à
l'ouest de l'île. Elle m’emmène chez des amis américains à elle
qui habitent dans une MAISON. Une maison à HK... Au dîner ils
disent une prière avant de manger mais ne se signent pas. Je leur
demande pourquoi. Ils disent que ce sont les Catholiques qui font ça.
Au retour dans le taxi on est un peu pétés. Anne regarde une
publicité pour un nouveau programme immobilier du groupe Sun Hung
Kai qui vient de s’ouvrir à la location. A partir de 10 000
Hongkong dollars pour un grand studio à Kowloon TST avec vue sur la
baie. Autant dire que c’est donné. « t’as
vu ça c’est dans nos moyens ? ».
Une nana qui me propose d’habiter avec elle. Je lui dit merde. Je
suis un horrible connard. Je l’entends expliquer la direction
de chez elle au chauffeur. En chinois. Elle maîtrise parfaitement la
langue la cachotière. Vas-y, parle chinois que je lui demande...
Elle ne veut pas. Elle a des « qualités cachées ».
Un
dimanche soir sur une terrasse voici qu’une brise légère balaie
gentiment l’écrasante chaleur de la journée. Etalés sur des
canapés d’un bar installé sur le toit d’un centre commercial
nous dominons la baie... En contrebas les cargos, les paquebots
passent lentement en majesté... Il est minuit, ils s’en vont à
Singapour, en Australie, aux îles Marshall... Parce que le cœur du
monde bat ici à Hong Kong, et il pulse l’énergie à dix mille
kilomètres à la ronde, depuis cette toute petite minuscule
cité-Etat, l’Athènes de l’Asie enchevêtrée de buildings
low-costs de tours de bureaux high-tech, et de maisons coloniales...
Des maisons coloniales de riches expatriés chez qui je vais le
samedi pour donner des cours de soutien à leurs enfants. Des tours
de bureaux que je visite en semaine, et dont je connais par cœur les
noms, et les principales boîtes qui y résident, et les directeurs
et « Office Managers » qui y travaillent. C’est mon
boulot de le savoir... Anne et moi on ne parle plus, on regarde
devant nous. Toutes ces tours sont alignées sur fond noir comme pour
la photo de classe. C’est tout plein de halos le paysage nocturne,
et puis clignotant de petites lumières dans les buildings ça et là
au loin, au très loin de l’autre côté sur le continent chinois
de l’autre côté du bras de mer... On est biens. C’est chez moi
ici depuis un an. C’est chez elle aussi, depuis onze ans. On est
deux toutes petites personnes frère et sœur de la minorité
caucasienne de HK, on est ensemble et on se parle français
par-dessus les siècles et les kilomètres. On va bientôt se
quitter. Elle va retourner au Canada pour passer une sorte
d’agrégation et gagner encore plus de thune.
Un
des derniers soirs je la retrouve dans un bar de Lan Kwai Fong. Elle
est en minijupe, et sa frange lui cache un peu l’œil droit. Dans
la baie un énorme bateau de guerre battant pavillon américain est
amarré. Apparemment c’est le USS
Washington de
retour d’Irak avec des soldats qui ont faits leur temps. Ils
font escale avant de rentrer à Los Angeles. On croise des
soldats ricains partout en ville, et dans ce bar y compris. On ne
peut pas les rater. Ils ont 18-20 ans et sont baraqués comme Hulk
Hogan.
Bientôt
on ne se verra plus. On se dit qu’on va se manquer. Qu’on va se
revoir. Le genre de promesses sans lendemain. Comment ça finit ces
choses là ? C’est pathétique.
Quelques
mois plus tard, sur le chat de Facebook on échange quelques mots en
franco-anglais. L’occasion pour nous de se poser mutuellement 2
questions : ou es-tu désormais, et que deviens tu... Elle me
dit qu’elle est à Vancouver, qu’elle est super « happy »,
qu’elle a vu un film ou y avait un type qui lui faisait penser à
moi... Elle me demande ce que je fais là en ce moment. Je lui dit
que j’écoute les Pink Floyd. Le morceau Wish
you were here.
Elle me dit que ça alors, c’est bizarre, elle est justement en
train d’écouter ce morceau.
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