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samedi 15 août 2015

04.01.2010 - Grands moments #1


Entrer dans la salle de réunion « Vermeer » en ignorant la raison de cette convocation. Le Directing Manager est là, de dos dans le fond de la pièce. Un grand aryen quadragénaire. Il regarde par la baie vitrée mains croisées dans le dos, jambes écartées de la largeur des épaules. C’est un cliché, un plan fixe de cinéma qui aurait l’esthétique de Jacques Audiard et la prétention symbolique de Jean-Luc Godard. Temps de chien sur Bruxelles nuages très noirs très bas, presque pas de lumière on croirait la nuit. En contrebas une manifestation sur le rond-point Schuman, cette vaste place séparant notre immeuble d’un certain immeuble en face, un très connu, l’antre de la bête, le surprotégé temple de la saloperie : la commission européenne le « Berlaymont ». De là ou je suis, attendant que le boss me prête attention j’aperçois de temps à autre des fusées rouges dont la trajectoire courbe éclaire brièvement la place plongée dans le noir. Une scène d’apocalypse vraiment. La confrontation semble intense, à en percer les deux doubles vitrages superposés. On entend la clameur de la foule difficilement couverte par des policiers qui crient des choses par haut-parleur… L’Union Européenne attire à elle toutes les haines possibles et de toutes les catégories sociales et son implantation à Bruxelles est une catastrophe pour la belle et tranquille Flandre. C’est la crise, rien ne sera plus jamais comme avant, le monde est en train de basculer. Les Caucasiens sont largués. Le boss fait « non » de la tête en observant la scène, absorbé. Il me remettra en main propre une lettre d’avertissement. Vivre pleinement dans son époque

 
Un dimanche être réveillé par les voisins du dessus qui baisent. Affreux temps de merde dehors, un gris froid et humide, un temps à ne faire que baiser dans un appartement bourgeois au frigo plein. Ils sont au bon endroit au bon moment comme on dit. Lui on ne l’entend pas des masses, il gueule juste un bon coup à la fin comme un veau. Elle par contre, mère modèle dont j’aide à porter la poussette dans les escaliers elle a l’air de faire des réserves de plaisir pour toute la semaine à venir. C’est des soupirs de joie, toutes les notes de la gamme déclinées en rassasiements « mmh » et en gratitudes « ah » et c’est crié avec le sourire ça s’entend, on l’entend fort son sourire, elle a l’air tellement heureuse c’est fou. Je peux pas m’empêcher d’écouter, de toute façon elle gueule si fort… Elle baise en anglais, elle appelle son Dieu, elle a l’air d’aimer énormément ce qui lui arrive, d’être absolument ravie du traitement qui lui est fait au point de s’en foutre du reste du monde, et je trouve ça très bien. Pour évaluer le boucan je me bouche les oreilles, et même ainsi je l’entends encore. Sa joie remplit tout l’immeuble, passe les cloisons et s’impose à vous. On peut vivre cette époque heureux malgré tout

 
Le dimanche à Paris se connecter sur Facebook et constater que « Emma is in a relationship ». Emmener son linge au Lavomatic et penser en regardant la lessive qui tourne à ta mère divorcée qu’il faudra aller voir avant que la nuit tombe à Villiers-sur-Marne, tout au bout de la racaille. Passe dans la rue un simili-latino rigolard au bout de sa main celle d’une aryenne en leggins. Ils vont chez elle peut être, ou en viennent. La veille rentrer seul d’une bagarre et allumer la télé pour écouter Angelina Jolie confier à Ardisson que Brad Pitt est une personne formidable. En chemin sur les boulevards venteux du neuvième arrondissement une des affiches d’un kiosk à journaux fermé expliquait que la France est définitivement métissée, textuel. « Trois couleurs sur les affiches nous traitent comme des bandits » Iam 1997. Comprendre son époque comme la suite logique de l’époque précédente

 
23h30 le 7 novembre 2005 arriver sous escorte à l’hôtel de police menottes dans le dos. Nuit d’émeute. Me suis fait choper par deux officiers de la BAC à Echirolles en train d’éteindre un incendie de voiture avec un extincteur volé trois heures plus tôt à l’hôtel Mercure boulevard Joffre.  Au moment d’entrer dans le bâtiment qui voilà ? Qui voilà ? Destot ! Destot ! Le maire PS de la ville, le Delanoë de Grenoble accompagné d’une nuée de sbires, il était venu remonter le moral des troupes pendant cette dure épreuve. J’ai l’impression de vivre un moment historique, le genre « lambda citoyen face au pouvoir occulte» et je l’insulte copieusement au moment de le croiser, ce n’est pas bien glorieux je lui dit que c’est les gauchistes de son genre qui sont responsables de ce merdier, que l’impunité de la racaille c’est sa faute, qu’on n’est pas dans la merde aujourd’hui… On me serre très fort les bras derrière moi, les deux fonctionnaires n’apprécient pas du tout, ils me poussent à l’intérieur, m’emmènent en bas vers les cellules faire une petite nuit en garde à vue. Certains policiers de service me reconnaissent. L’hôtel Mercure ne portera pas plainte. Etre au cœur de son époque

 
Qui se souvient de Gérard de Suresnes ? Un bien étrange personnage qui « berçait » mes nuits blanches de collégien et dont j’enregistrais tous les hilarants débats, son émission hebdomadaire. Début avril 2004, je rencontre Gérard Cousin dit Gérard de Suresnes, chez lui à Montluçon. On a fait le voyage soit 500 km avec des amis. Modeste appartement HLM, télé allumée 24/24, aux murs des posters de camions découpés dans des magazines, naïfs témoignages de l’attachement à son ancien métier de routier. La vue donnait en face sur une immense barre d’immeuble, entièrement désaffectée. A travers les poussiéreuses  fenêtres nous n’avons vus personne dans les rues de tout l’aprème. Pas un bruit dans cette immensité bétonnée, seulement celui d’une porte de local technique laissée ouverte, et qui battait au vent sur le toit de cet immeuble en face. Une atmosphère de dessin d’Enki Bilal, au bout du monde, au bout d’un dimanche affreux. On a déjeuné dans un Buffalo Grill. En repartant, j’ai eu un pincement au cœur, sensation de malaise. Je revois le bonhomme nous serrer la main sur le parking et s’en retourner vers son immeuble, à sa vie complètement solitaire, coupée du monde. Viré de Fun Radio quelques mois plus tôt. Il avait pourtant été à son insu la figure marquante de toute une génération… Il est mort Gérard de Suresnes, de maladies un an plus tard complètement seul, son corps non-réclamé car il n’avait plus de famille, a été enterré dans la fosse commune du cimetière de Désertines (03). Etre le fruit de son époque
 

Passer des années « jeunes connards & nuits blanches» avec ses amis à Grenoble Isère France. Au petit matin avant de rentrer dormir on allait forcer la porte de service du Macdo de la place Grenette et l’on mangeait les hamburgers non-consommés. A l’époque nous avions tous récemment travaillés chez macdo au moins une fois et savions que les hamburgers produits et non commandés dans les dix minutes sont sortis du bin et jetés « en perte ». Et qu’ils sont mis à part dans leur boîte, dans des sacs poubelles. Donc c’est pas sale non ? Ouais si c’est quand même dégueulasse… On bouffait ça ravis, dans le silence d’une rue piétonne à l’aube, le sac poubelle à nos pieds. Des bilans de nuit honorables: ivresse à la Maximator, lignes de coke tapées sur des poubelles d’une allée d’immeuble bourgeois ouverte avec une clé de facteur volée, discussions sur l’Indochine avec un clochard ex-para tatoué « HATE » sur le front je dis bien sur le front, bagarre avec des gauchistes « zoufs », embrassé des filles croisées place de Gordes qui nous trouvaient « trop forts et trop intelligents », incrustés à une soirée repérée depuis la rue, virés au bout de dix minutes parce que Gyom avait touché la chatte d’une meuf, bu dans l’allée une bouteille de « Zubrowska » chourrave, bagarre avec des proprios de l’immeuble qui nous disaient de dégager, croisé un type du lycée qui revenait d’une session graff ferroviaire en Hongrie, effondrement sur des bancs et refaisage de monde, et puis forçage de porte au Macdo. Nous avions  toute la vie devant nous et il n’y avait rien que nous ne puissions accomplir. Les petits-déj’ du Macdo c’étaient des moments magiques. Vivre une époque formidable


 
Tous ces moments sont des moments vécus et payés. Nous faisons-nous bien comprendre ? Nous parlons de filles parties la première dans la cuisine le matin, votre humble serviteur à la traîne resté dans la chambre pour faire son lit au carré comme un coup d’un soir poli, voilà l’oreiller qui tombe, découvrant un gode, un putain de gros gode rose clair en forme de « monsieur » oui un ignoble gourdin humoristique tout arrangé comme une bite avec gland stylisé tête, bras le long du corps stylisés veines… un gode juste là, pas rincé, indiscutable, irréfutable, accablant, la brutale réalité du sexy et mutin « meilleur ami » chanté par Yelle repris en chœur par les petites rebelles qui voudraient être belles. Un gode en forme de monsieur. Etre le témoin de son époque

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