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mardi 18 août 2015

16.04.2010 - Manifeste du "pur fou"



Né en 1982 je dois faire partie de la dernière génération où les gamins pouvaient s’agréger rien qu’entre Caucasiens à l’école publique et ce, sans le faire exprès. Dans notre équipe de potes on était tous plus ou moins « de gauche » au départ avec quelques prescriptions cependant. On détestait les racailles. On voulait la vie de bohème avec une certaine érudition. On aimait être bien sapés et ivres, bavarder de la prochaine teuf trance ou bien des mérites comparés du peintre Caravage et du réalisateur d’Apocalypse Now dans leur utilisation respectives du clair/obscur. On se battait. On foutait beaucoup la merde, on refusait de payer les entrées, de payer les achats, de payer tout court.  On emmerdait les zoufs (les hippies) on volait beaucoup de choses dans les magasins et les divers établissements que l’on fréquentait. On avait tout le temps des « plans ». On voulait faire notre mai 68. Un mai 68 de Mods, de Casuals de Mohocks de hooligans de punks de teufeurs, de tout ça à la fois on voulait. Des nuits entières, des centaines de nuit s’entend, passées assis sur les bancs des promontoires dominant Grenoble, passées à marcher dans les rues désertes, à trainailler dans des souterrains de gare, sur des dalles de quartiers d’affaires éclairées par des spots incrustés dans le sol… Ce qui nous réunissait ? Un goût pour les musiques électroniques pour le rock et le rap, pour la vie au « grand air » et un souverain mépris pour les façons « mainstream » les fêtes des gens raisonnables, les bars, les boîtes ce genre de lieux ou il faut assurer, se tenir bien, pas faire le fou.
Ce qui tourmente passé un certain âge c’est de savoir « ce qu’on fera quand on sera grand ». Beaucoup de jeunes gens voyant à l’horizon se profiler le monde du travail quittent aussi sec leur pelure d’adolescent pour se mettre dans celle de l’adulte froid, cynique et intéressé. Ainsi l’on a vu certains de nos camarades dés l’âge de 15 ans tourner zélés anticipateurs, se soucier de la bourse « t’ain merde ça a baissé » même s’ils avaient placés 10 euros chez SFR juste pour voir, via leur père. Ils avaient changés d’attitude. La promptitude de certains jeunes à vouloir basculer dans l’âge adulte est étonnante, surtout leur précipitation à embrasser les aspects les plus lourds, solennels, ennuyeux de l’âge adulte… Les gavroches champêtres pressés de s’enfermer dans un bureau… Oui c’est étonnant. Et puis cette façon de devenir une caricature, de prendre la panoplie complète de sa classe sociale, l’entrée-plat-dessert du menu proposé. Tous ont grandis à l’école de « l’esprit critique » pourtant aucun ne s’emploie à réellement composer sa vie. Tout dans leurs choix dénote une parfaite adaptation au milieu social : choix des vêtements, choix de la déco d’intérieur, choix des sorties, choix des vacances, activités pratiquées… Prenons l’exemple d’un bureau de vente. Ce genre de milieu est peuplé à 90% de gens brutaux, méthodiques, dont les appartements vierges de livres recèlent au moins une console de jeu vidéo et des vêtements coûteux mais mal coupés. Nous voulons signifier par là que ces gens dans leur apparence sont conformes absolument aux valeurs de leur milieu. A tous les barreaux de l’échelle sociale les épithètes ne sont que des pléonasmes : Journalistes de gauche, designers minimalistes, commerciaux goujats, théâtreuseshystériques… Nous les appellerons les « mainstreams » : ils sont adaptés, ils savent qui ils sont et ce qu’ils font.
Ils ne feront que “penser” la vie… et ne “l’éprouveront” jamais… même dans la guerre… dans leur sale viande de “précieux”, de sournois crâneurs… Encroûtés, sclérosés, onctueux, bourgeoisés, supériorisés, mufflisés dès les premières compositions, Ils gardent toute leur vie un balai dans le trou du cul, la pompe latine sur la langue… Ils entrent dans l’enseignement secondaire, comme les petites chinoises dans les brodequins rétrécis, ils en sortiront émotivement monstrueux, amputés, sadiques, frigides, frivoles et retors
Louis-Ferdinand Céline, 1937


Nous ne savions foutre pas quoi devenir ni quoi faire. Et sur nous point d’apitoiement comme aux « jeunes des quartiers » qui captaient subventions, attentions et indulgence. On a perdus 5 des nôtres en route (4 internés en HP et 1 suicidé). Nous avons bricolé une esthétique piochant ça et là… Girbaud, Dior Homme, Trocadéro, teknivals, drogues, ascèse, PSG Virage Boulogne, Dantec, Céline, travailler comme « consultants », Apocalypse Now, ballet classique, vie au grand air, filles qu’ont l’anglais qui tinte au pieu, cuisine, foi à l’épreuve des tentations, massages, business hotel bars, bagarres, chourraves, kleptomanie, Asie, alcoolisme… La vie nous sommait de faire des choix. Cependant ne sachant nous décider nous voulions tout faire et tout voir.  
Ainsi le « pur fou » fait tâche dans son box, il y est inadapté. Perpétuellement il rue dans la porte, hennit, mord, il ne se plaît pas là ou il est et le fait savoir. Le « pur fou » tâtonne dans le noir, il se trompe comme un imbécile, trébuche, cafouille, enrage, il porte des fardeaux indus sans même s’en rendre compte, parfois il croise des gens qui lui disent qu’il s’est trompé d’époque ou d’autres déclarant qu’il gagnerait à être connu. Il est un peu marginal, barré, et dans le même temps capable d’une grande générosité pour peu qu’on ait besoin de lui.
Pas à pas, de pied ferme, sans savoir où je vais
J’ai souvent cherché la merde, je l’ai toujours trouvée

Booba 
Pitbull
Les deux fois consécutives ou l’université a été bloquée par des sortes d’anarchistes en 2005 puis 2006 nous avons séchés les cours pour assister aux AG là bas. On exigeait d’avoir le micro pour poser une question. « Oui alors le garçon avec la veste noire là bas qui fait beaucoup de bruit allez passez lui le micro… Allez ta question… » Et là devant deux cent zoufs tout ouïes, Gyom ivre de trois Caboulot balbutiait trop près du micro en saturation « ouais est-ce que vous pourriez mettre des poufs et des coussins dans les amphis qu’on puisse comater pénards t’sais». Et puis on réclamait pour nos droits, pour l’alternative bolivarienne pour le pape… On se faisait dégager. Sur des forums internet des gens parlaient de nous. D’un « petit gavroche teigneux et de quatre grands types dégingandés qui arrêtent pas de foutre la merde ». On retrouvait les mêmes gauchistes partout. Tout Grenoble est gauchiste de toute façon. Aux vernissages, aux manifs, aux soirées trance, aux soirées électro, aux teknivals… Mode de vie « de droite » chez les « de gauche » tel était notre orgueil à nous déclassés décolorés désargentés déchus désillusionnés déresponsabilisés, dépassés.


Nous n’avons jamais prétendus faire la révolution mais juste à être des petits cons mieux que les autres. On aurait pas pu avoir notre « portrait du mois » dans Teknikart parce qu’on était considérés fachos. Le mot revenait souvent. Cela dit l’un d’entre nous a été « mec du mois » dans un numéro du magazine pour adolescentes « Muteen ». en 2004. La gloire tu vois. Ce qu’on l’a fait chier avec ça…


Nos parents avaient divorcés donc on n’avait pas une thune mais on refusait absolument le déclassement. On taffait à Macdo à Pizza-Hut à Carrefour pour se saper en milords-Girbaud, en milords-Slimane avec des chaussettes blanches qui peluchent et on débarquait pétés au Sire de Beaupré vin de table, dans les cocktails de la mairie au lieu d’aller étudier. « Les réceptions de l’ambassadeur sont réputées pour le bon goût raffiné du maître de maison ». Faisant fi des fontaines de champagne et des pyramides de Ferrero Rocher on se ruait sur les plateaux de roast-beef froids aux cornichons, « attends vas-y prend ce plateau je prends çelui-là on va se poser par là ». Ainsi cinq petits cons entament un pic-nic à part sous les lustres du salon d’honneur, agglutinés à une table et interdisant l’accès aux convives par la formation d’un demi-cercle impénétrable, leçon de nos pères grecs. On lisait Hérodote… Et dans le texte ! Et l’on se récitait des passages de films cultes. Par exemple Nixon d’Oliver Stone. « Alors vous avez rencontré Mao ? Comment est la bouffe en Chine Richard ? » et un autre de répondre du tac au tac en s’enfilant deux tranches de rosbif « Oh vous savez elle est délicieuuuse quand on est président ». Cassage de rire. Une maman jolie nous dit de faire moins de bruit. On lui répond un truc vaseux, qu’il faut nous laisser être des grands timoniers ivres à la barre, ce genre de chose. S’ensuit une discussion animée sur le soubassement populiste du slogan de campagne « Grenoble est à vous » c’est un bordel aviné, on aime beaucoup jouer la comédie devant les gens, on s’empoigne par le paletot sur la question du concept d’aliénation chez Marx qui aurait mal été traduit par Raymond Aron « Nan mec tu connais tchi ce mot ça se traduit par Veräußerung pas par Entfremdung t’es pas un vrai germanisant » « Ta gueule toi tu joues au goethien romantique alors que t’es une boulé d’merde t’es là t’es en mode mèche et frac » « Nan mec ! » « Si mec ! » etc…  La maman elle fait l’étonnée et puis l’artiste qui bat des cils « en tout cas vous êtes très beaux et très classes et très intelligents ». Mais j’ai 22 ans « Ah bon vous voulez m’pounche ? », elle en a peut-être 45 « Comment ? ». Fossé des générations.


Fossé des générations creusé entre les ex-rebelles devenus vieux cons et nous les nés autour de 1980 qui savons que l’Amérique ne se découvre pas deux fois. Les lignes se sont déplacées, les soixanthuitards sont has-been et ce sont eux les maîtres-censeurs, ce sont eux l’ORTF et ce sont eux les bourgeois balzaciens à montre à gousset. Voilà le malheur de notre génération c’est de se rebeller contre celle de nos parents qui eux-mêmes sont la première génération de l’histoire à avoir gagné leur bataille de rebelles. C’est-à-dire que nous sommes des rebelles vaincus se rebellant contre des rebelles vainqueurs. Regardez les ces Cohn-Bendit, ces Mélenchon ces Wolton ces croûtons. Que peut-on faire contre eux ? En définitive tout flétri qu’ils soient ils demeurent pouvoir normatif et force de subversion. Car ils ont eu Malraux et Deleuze, mais nous Angot et Roi Heenok. Et ça s’arrête là. On est baisés…


Soit. Alors de cette partouze là je veux émerger pur fou c’est mon coït ma bataille, je veux être cette figure essentialisée du méchant Noble celui qui refuse de se lever pour accueillir ses créanciers, qui les salue d’un majeur et les congédie d’un soufflet. Vous ne suivez plus ?  Notre quête est purement esthétique, stylistique. Les miens et moi voulons être à part mais dedans, impériaux comme Jacques François dans les films de Jean-Marie Poiré, fous comme Jim Carrey dans Ace Ventura ou Menteur Menteur, lettrés comme Luchini, têtus comme Georges Marchais sur un plateau de télé, vagabonds comme Richard Bohringer dans Une époque formidable, inspirés comme Baer et Morissard dans Le centre de visionnage, nous sommes là pour déblatérer des inepties éloquentes piochées autant dans Maurras que dans Debord assis sur un canapé posé sur le trottoir pour l’enlèvement des « encombrants », vêtus de costume imbibés d’alcool de poire, parce que les encombrants c’est nous. Faut qu’on fasse chier le monde une bonne fois avant de devenir raisonnables.


2006 minuit un soir de semaine cé la diskriminassion nous sommes refoulés du Vertigo même en parlant serbe au physio natif de Banja-Luka, vent du nord dans les rues noires on se trisse par la Chenoise, devant moi les cheveux au vent de Gyom gavroche électronique, son écharpe de soie en vieux torchon autour du cou, dans la poche la lacrymo servira deux fois pour repousser malandrins, voilà que Place Sainte-Claire une voiture de police s’arrête sans gyrophares. C’est pour nous bon sang on pique vers les quais par les petites rues, les chaussures claquent fort sur le pavé, je pile au numéro 24 « Ho Gyom ! ho Gyom ! arrête c’est bon j’ai un pass putain ! » au comble du stress haletant, arrêté devant cette porte d’immeuble j’enfonce la clé… Ca passe ! On s’engouffre dans le fracas des battants, ça résonne hall noir odeur de clope humide et l’ on fonce tout droit derrière par la cour qui communique avec la rue parallèle, on a plus qu’à ouvrir la deuxième porte et voilà un trottoir à nouveau, sûr qu’on les a semés… On peut souffler, c’est fini la respiration revient lentement, on maîtrise la situation, on se sent indestructibles. Adossés au mur une jambe repliée on commente rigolards comme des pêcheurs marseillais qui surenchérissent  « la bagnole de flic elle était comme ça ! », « non comme ça ! »… On sort les dernières 8-6 brandies à la santé de Bigeard, dans deux mois on sera en Indochine pardon au Vietnam sponsorisés par une assoce de rayonnement de la francophonie. Parmi les passants fatigués qui défilent épars dans la rue on distingue une tête connue. On l’alpague, qu’est-ce qu’il devient ? L’a fait Grenoble-Erevan en camion J9 le bonhomme, avec sa copine. Il a pas le temps là, il monte dans une bagnole qui l’attend, il s’en va « peindre des trains au dépôt ». Mince le dépôt il est à Saint-André-le-gaz une trotte…


2006 C’est mai 68 de droite tous les soirs rien que pour nous et l’on mange et l’on vit à grandes cuillérées pendant que les  mainstreams chipotent « j’ai un tout petit peu faim », les rues calmes virent au cyclone à notre passage, on est en « heavy cavalry » ce soir, Girbaud Dior et Paul Smith on est des enculés qu’aiment être sapés, derrière nous s’épanouit sillage tumultueux pour faire tanguer le Philistin, qu’il essaie de faire des vagues s’il le peut, on est équipés antiroulis. Qu’on se le dise ils vont tous en prendre plein leur grade ce soir c’est nous contre le reste du monde, on va les dégrader les désarçonner… Fuck off le nivellement on est des aristos tu comprends… en roue arrière plein pot qui racle le bitume on leur roule dessus poursuivis par des traînées d’étoiles filantes, notre route défrichée au camion-foreur les nuits sans lune on avance Rimbaud dans la tête Caboulot dans les poches Polo Ralph Lo sur les épaules et zéro thune sur le compte en banque. Racailleux viens nous tester que l’on tank….


Pur et Fou, Sang bleu raffiné pour la clairvoyance, sang chaud énergie pure pour monter sur le ring face à plus fort que soi. Bande Originale du Fight Club de la vie c’est la musique des Blancs c’est du son comme ce qui va suivre, qui part en missile tiré du Jauréguiberry et explose à Mogadiscio sur le QG des lâches en millions d’étincelles après kilomètres d’une trainée rouge et blanche sous ciel bleu royal. C’est le Hurrah des vainqueurs, Endeavour qui s’arrache du sol, tout mon beau virage Boulogne en doigt d’honneur à leur culture de mort. C’est la vie qui bat plus fort aux tempes, centaines de notes/seconde assemblées en symphonie électronique pour l’autoradio de la Santa Maria, les explorateurs c’est nous alors Fuckin’jouez orchestres!…  A écouter fort.

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