Né
en 1982 je dois faire partie de la dernière génération où les
gamins pouvaient s’agréger rien qu’entre Caucasiens à l’école
publique et ce, sans le faire exprès. Dans notre équipe de potes on
était tous plus ou moins « de gauche » au départ avec
quelques prescriptions cependant. On détestait les racailles. On
voulait la vie de bohème avec une certaine érudition. On aimait
être bien sapés et ivres, bavarder de la prochaine teuf trance ou
bien des mérites comparés du peintre Caravage et du réalisateur
d’Apocalypse Now dans leur utilisation respectives du clair/obscur.
On se battait. On foutait beaucoup la merde, on refusait de payer les
entrées, de payer les achats, de payer tout court. On
emmerdait les zoufs (les hippies) on volait beaucoup de choses dans
les magasins et les divers établissements que l’on fréquentait.
On avait tout le temps des « plans ». On voulait faire
notre mai 68. Un mai 68 de Mods, de Casuals de Mohocks de hooligans
de punks de teufeurs, de tout ça à la fois on voulait. Des nuits
entières, des centaines de nuit s’entend, passées assis sur les
bancs des promontoires dominant Grenoble, passées à marcher dans
les rues désertes, à trainailler dans des souterrains de gare, sur
des dalles de quartiers d’affaires éclairées par des spots
incrustés dans le sol… Ce qui nous réunissait ? Un goût
pour les musiques électroniques pour le rock et le rap, pour la vie
au « grand air » et un souverain mépris pour les façons
« mainstream »
les fêtes des gens raisonnables, les bars, les boîtes ce genre
de lieux ou il faut assurer, se tenir bien, pas faire le fou.
Ce
qui tourmente passé un certain âge c’est de savoir « ce
qu’on fera quand on sera grand ». Beaucoup de jeunes gens
voyant à l’horizon se profiler le monde du travail quittent aussi
sec leur pelure d’adolescent pour se mettre dans celle de l’adulte
froid, cynique et intéressé. Ainsi l’on a vu certains de nos
camarades dés l’âge de 15 ans tourner zélés anticipateurs, se
soucier de la bourse « t’ain
merde ça a baissé »
même s’ils avaient placés 10 euros chez SFR juste pour voir, via
leur père. Ils avaient changés d’attitude. La promptitude de
certains jeunes à vouloir basculer dans l’âge adulte est
étonnante, surtout leur précipitation à embrasser les aspects les
plus lourds, solennels, ennuyeux de l’âge adulte… Les gavroches
champêtres pressés de s’enfermer dans un bureau… Oui c’est
étonnant. Et puis cette façon de devenir une caricature, de prendre
la panoplie complète de sa classe sociale, l’entrée-plat-dessert
du menu proposé. Tous ont grandis à l’école de « l’esprit
critique » pourtant aucun ne s’emploie à réellement
composer sa vie. Tout dans leurs choix dénote une parfaite
adaptation au milieu social : choix des vêtements, choix de la
déco d’intérieur, choix des sorties, choix des vacances,
activités pratiquées… Prenons l’exemple d’un bureau de vente.
Ce genre de milieu est peuplé à 90% de gens brutaux, méthodiques,
dont les appartements vierges de livres recèlent au moins une
console de jeu vidéo et des vêtements coûteux mais mal coupés.
Nous voulons signifier par là que ces gens dans leur apparence sont
conformes absolument aux valeurs de leur milieu. A tous les barreaux
de l’échelle sociale les épithètes ne sont que des pléonasmes :
Journalistes de
gauche,
designers minimalistes,
commerciaux goujats,
théâtreuseshystériques…
Nous les appellerons les « mainstreams » :
ils sont adaptés, ils savent qui ils sont et ce qu’ils font.
Ils
ne feront que “penser” la vie… et ne “l’éprouveront”
jamais… même dans la guerre… dans leur sale viande de
“précieux”, de sournois crâneurs… Encroûtés, sclérosés,
onctueux, bourgeoisés, supériorisés, mufflisés dès les premières
compositions, Ils gardent toute leur vie un balai dans le trou du
cul, la pompe latine sur la langue… Ils entrent dans l’enseignement
secondaire, comme les petites chinoises dans les brodequins rétrécis,
ils en sortiront émotivement monstrueux, amputés, sadiques,
frigides, frivoles et retors…
Louis-Ferdinand
Céline, 1937
Nous
ne savions foutre pas quoi devenir ni quoi faire. Et sur nous point
d’apitoiement comme aux « jeunes des quartiers » qui
captaient subventions, attentions et indulgence. On a perdus 5 des
nôtres en route (4 internés en HP et 1 suicidé). Nous avons
bricolé une esthétique piochant ça et là… Girbaud, Dior Homme,
Trocadéro, teknivals, drogues, ascèse, PSG Virage Boulogne, Dantec,
Céline, travailler comme « consultants », Apocalypse
Now, ballet classique, vie au grand air, filles qu’ont l’anglais
qui tinte au pieu, cuisine, foi à l’épreuve des tentations,
massages, business hotel bars, bagarres, chourraves, kleptomanie,
Asie, alcoolisme… La vie nous sommait de faire des choix. Cependant
ne sachant nous décider nous voulions tout faire et tout voir.
Ainsi
le « pur
fou »
fait tâche dans son box, il y est inadapté. Perpétuellement il rue
dans la porte, hennit, mord, il ne se plaît pas là ou il est et le
fait savoir. Le « pur fou » tâtonne dans le noir, il se
trompe comme un imbécile, trébuche, cafouille, enrage, il porte des
fardeaux indus sans même s’en rendre compte, parfois il croise des
gens qui lui disent qu’il s’est trompé d’époque ou d’autres
déclarant qu’il gagnerait à être connu. Il est un peu marginal,
barré, et dans le même temps capable d’une grande générosité
pour peu qu’on ait besoin de lui.
Pas
à pas, de pied ferme, sans savoir où je vais
J’ai souvent cherché la merde, je l’ai toujours trouvée
Booba Pitbull
J’ai souvent cherché la merde, je l’ai toujours trouvée
Booba Pitbull
Les
deux fois consécutives ou l’université a été bloquée par des
sortes d’anarchistes en 2005 puis 2006 nous avons séchés les
cours pour assister aux AG là bas. On exigeait d’avoir le micro
pour poser une question. « Oui alors le garçon avec la veste
noire là bas qui fait beaucoup de bruit allez passez lui le micro…
Allez ta question… » Et là devant deux cent zoufs tout
ouïes, Gyom ivre de trois Caboulot balbutiait trop près du micro en
saturation « ouais est-ce que vous pourriez mettre des poufs et des
coussins dans les amphis qu’on puisse comater pénards t’sais».
Et puis on réclamait pour nos droits, pour l’alternative
bolivarienne pour le pape… On se faisait dégager. Sur des forums
internet des gens parlaient de nous. D’un « petit gavroche
teigneux et de quatre grands types dégingandés qui arrêtent pas de
foutre la merde ». On retrouvait les mêmes gauchistes partout.
Tout Grenoble est gauchiste de toute façon. Aux vernissages, aux
manifs, aux soirées trance, aux soirées électro, aux teknivals…
Mode de vie « de droite » chez les « de gauche »
tel était notre orgueil à nous déclassés décolorés désargentés
déchus désillusionnés déresponsabilisés, dépassés.
Nous
n’avons jamais prétendus faire la révolution mais juste à être
des petits cons mieux que les autres. On aurait pas pu avoir notre
« portrait du mois » dans Teknikart parce qu’on était
considérés fachos.
Le mot revenait souvent. Cela dit l’un d’entre nous a été « mec
du mois » dans un numéro du magazine pour adolescentes
« Muteen ». en 2004. La gloire tu vois. Ce qu’on l’a
fait chier avec ça…
Nos
parents avaient divorcés donc on n’avait pas une thune mais on
refusait absolument le déclassement. On taffait à Macdo à
Pizza-Hut à Carrefour pour se saper en milords-Girbaud, en
milords-Slimane avec des chaussettes blanches qui peluchent et on
débarquait pétés au Sire de Beaupré vin de table, dans les
cocktails de la mairie au lieu d’aller étudier. « Les
réceptions de l’ambassadeur sont réputées pour le bon goût
raffiné du maître de maison ».
Faisant fi des fontaines de champagne et des pyramides de Ferrero
Rocher on se ruait sur les plateaux de roast-beef froids aux
cornichons, « attends vas-y prend ce plateau je prends çelui-là
on va se poser par là ». Ainsi cinq petits cons entament un
pic-nic à part sous les lustres du salon d’honneur, agglutinés à
une table et interdisant l’accès aux convives par la formation
d’un demi-cercle impénétrable, leçon de nos pères grecs. On
lisait Hérodote… Et dans le texte ! Et l’on se récitait
des passages de films cultes. Par exemple Nixon d’Oliver
Stone. « Alors vous avez rencontré Mao ? Comment est la
bouffe en Chine Richard ? » et un autre de répondre du
tac au tac en s’enfilant deux tranches de rosbif « Oh vous
savez elle est délicieuuuse quand on est président ». Cassage
de rire. Une maman jolie nous dit de faire moins de bruit. On lui
répond un truc vaseux, qu’il faut nous laisser être des grands
timoniers ivres à la barre, ce genre de chose. S’ensuit une
discussion animée sur le soubassement populiste du slogan de
campagne « Grenoble est à vous » c’est un bordel
aviné, on aime beaucoup jouer la comédie devant les gens, on
s’empoigne par le paletot sur la question du concept d’aliénation
chez Marx qui aurait mal été traduit par Raymond Aron « Nan
mec tu connais tchi ce mot ça se traduit par Veräußerung pas
par Entfremdung t’es
pas un vrai germanisant » « Ta gueule toi tu joues au
goethien romantique alors que t’es une boulé d’merde t’es là
t’es en mode mèche et frac » « Nan mec ! » « Si
mec ! » etc… La maman elle fait l’étonnée et
puis l’artiste qui bat des cils « en tout cas vous êtes très
beaux et très classes et très intelligents ». Mais j’ai 22
ans « Ah bon vous voulez m’pounche ? », elle en a
peut-être 45 « Comment ? ». Fossé des générations.
Fossé
des générations creusé entre les ex-rebelles devenus vieux cons et
nous les nés autour de 1980 qui savons que l’Amérique ne se
découvre pas deux fois. Les lignes se sont déplacées, les
soixanthuitards sont has-been et ce sont eux les maîtres-censeurs,
ce sont eux l’ORTF et ce sont eux les bourgeois balzaciens à
montre à gousset. Voilà le malheur de notre génération c’est de
se rebeller contre celle de nos parents qui eux-mêmes sont la
première génération de l’histoire à avoir gagné leur bataille
de rebelles. C’est-à-dire que nous sommes des rebelles vaincus se
rebellant contre des rebelles vainqueurs. Regardez les ces
Cohn-Bendit, ces Mélenchon ces Wolton ces croûtons. Que peut-on
faire contre eux ? En définitive tout flétri qu’ils soient
ils demeurent pouvoir normatif et force de subversion. Car ils ont eu
Malraux et Deleuze, mais nous Angot et Roi Heenok. Et ça s’arrête
là. On est baisés…
Soit.
Alors de cette partouze là je veux émerger pur
fou c’est
mon coït ma bataille, je veux être cette figure essentialisée du
méchant Noble celui qui refuse de se lever pour accueillir ses
créanciers, qui les salue d’un majeur et les congédie d’un
soufflet. Vous ne suivez plus ? Notre quête est purement
esthétique, stylistique. Les miens et moi voulons être à part mais
dedans, impériaux comme Jacques François dans les films de
Jean-Marie Poiré, fous comme Jim Carrey dans Ace Ventura ou Menteur
Menteur, lettrés comme Luchini, têtus comme Georges Marchais sur un
plateau de télé, vagabonds comme Richard Bohringer dans Une
époque formidable,
inspirés comme Baer et Morissard dans Le
centre de visionnage,
nous sommes là pour déblatérer des inepties éloquentes piochées
autant dans Maurras que dans Debord assis sur un canapé posé sur le
trottoir pour l’enlèvement des « encombrants », vêtus
de costume imbibés d’alcool de poire, parce que les encombrants
c’est nous. Faut qu’on fasse chier le monde une bonne fois avant
de devenir raisonnables.
2006
minuit un soir de semaine cé
la diskriminassion nous
sommes refoulés du Vertigo même en parlant serbe au physio natif de
Banja-Luka, vent du nord dans les rues noires on se trisse par la
Chenoise, devant moi les cheveux au vent de Gyom gavroche
électronique, son écharpe de soie en vieux torchon autour du cou,
dans la poche la lacrymo servira deux fois pour repousser malandrins,
voilà que Place Sainte-Claire une voiture de police s’arrête sans
gyrophares. C’est pour nous bon sang on pique vers les quais par
les petites rues, les chaussures claquent fort sur le pavé, je pile
au numéro 24 « Ho
Gyom ! ho Gyom ! arrête c’est bon j’ai un pass
putain ! »
au comble du stress haletant, arrêté devant cette porte d’immeuble
j’enfonce la clé… Ca passe ! On s’engouffre dans le
fracas des battants, ça résonne hall noir odeur de clope humide et
l’ on fonce tout droit derrière par la cour qui communique avec la
rue parallèle, on a plus qu’à ouvrir la deuxième porte et voilà
un trottoir à nouveau, sûr qu’on les a semés… On peut
souffler, c’est fini la respiration revient lentement, on maîtrise
la situation, on se sent indestructibles. Adossés au mur une jambe
repliée on commente rigolards comme des pêcheurs marseillais qui
surenchérissent « la bagnole de flic elle était comme
ça ! », « non comme ça ! »… On sort
les dernières 8-6 brandies à la santé de Bigeard, dans deux mois
on sera en Indochine pardon au Vietnam sponsorisés par une assoce de
rayonnement de la francophonie. Parmi les passants fatigués qui
défilent épars dans la rue on distingue une tête connue. On
l’alpague, qu’est-ce qu’il devient ? L’a fait
Grenoble-Erevan en camion J9 le bonhomme, avec sa copine. Il a pas le
temps là, il monte dans une bagnole qui l’attend, il s’en va
« peindre des trains au dépôt ». Mince le dépôt il
est à Saint-André-le-gaz une trotte…
2006
C’est mai 68 de droite tous les soirs rien que pour nous et l’on
mange et l’on vit à grandes cuillérées pendant que les
mainstreams chipotent
« j’ai un tout petit peu faim », les rues calmes virent
au cyclone à notre passage, on est en « heavy
cavalry »
ce soir, Girbaud Dior et Paul Smith on est des enculés qu’aiment
être sapés, derrière nous s’épanouit sillage tumultueux pour
faire tanguer le Philistin, qu’il essaie de faire des vagues s’il
le peut, on est équipés antiroulis. Qu’on se le dise ils vont
tous en prendre plein leur grade ce soir c’est nous contre le reste
du monde, on va les dégrader les désarçonner… Fuck
off le
nivellement on est des aristos tu comprends… en roue arrière plein
pot qui racle le bitume on leur roule dessus poursuivis par des
traînées d’étoiles filantes, notre route défrichée au
camion-foreur les nuits sans lune on avance Rimbaud dans la tête
Caboulot dans les poches Polo Ralph Lo sur les épaules et zéro
thune sur le compte en banque. Racailleux viens nous tester que l’on
tank….
Pur et Fou,
Sang bleu raffiné pour la clairvoyance, sang chaud énergie pure
pour monter sur le ring face à plus fort que soi. Bande Originale du
Fight Club de la vie c’est la musique des Blancs c’est du son
comme ce qui va suivre, qui part en missile tiré du Jauréguiberry
et explose à Mogadiscio sur le QG des lâches en millions
d’étincelles après kilomètres d’une trainée rouge et blanche
sous ciel bleu royal. C’est le Hurrah des vainqueurs, Endeavour qui
s’arrache du sol, tout mon beau virage Boulogne en doigt d’honneur
à leur culture de mort. C’est la vie qui bat plus fort aux tempes,
centaines de notes/seconde assemblées en symphonie électronique
pour l’autoradio de la Santa
Maria,
les explorateurs c’est nous alors Fuckin’jouez
orchestres!… A écouter fort.
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