Ca
commence sur les Champs-Elysées bondés un soir d’Août 2001. Je
viens de passer le bac, mon oncle m’emmène voir « Apocalypse
Now » récemment ressorti sur les écrans dans une version
améliorée et paraît-il augmentée de séquences qui avait été
coupées lors de la sortie du film en 1979. Le film dure 3 heures.
Choc. Et sensation d'une confiance totale, une sorte d’appel, une
impression que tout ce qu’il y avait sur l’écran m'est familier.
A partir de ce jour là, plus qu’un but dans la vie moi qui n’en
ai jamais eu c’est d’aller là bas. Aller y voir au Vietnam. A
ce qu'il parait on y trouve encore des hélicoptères UH-1
accrochés dans les arbres à certains endroits… Le fleuve qui
remonte dans la jungle, qui sillonne comme un serpent jusqu’à une
source introuvable sur les cartes je veux le voir. Et la cabane des
céfrans, leur plantation, je veux rentrer dans le film.
Faut
que j’aille là bas y voir, et vite. Mais je n’ai pas d’argent…
Et puis faut faire des études, c’est l’âge de faire des études
pas de se promener. Il m’arrive tout plein d’emmerdements… Je
rentre dans la vie étudiante et je trouve ça abominable à tous
points de vue. Merdiquement intellectuel, lent, poussif, normé,
régulé, automatisé… Tout le contraire de la jungle. J’en fais
une maladie ça me fait dégueuler ce monde cette époque. Je rêvais
à mai 68 moi, à l’imagination au pouvoir.
Le
morceau… dans les carillons dés le début il y a l’écho des
instruments de l’Asie brune, l’autre coté de l’Inde, l’Inde
le berceau de notre civilisation… Dumézil ! Aryâ !
Tout est parti de l’Inde, tout est parti de cette base là. C’est
parti vers l’ouest ça a donné les Grecs puis les Celtes puis les
Anglais puis les Américains… Et les Américains ils ont sont là
sur l’écran au Vietnam… C’est parti à l’est et
ça a donné les Thaïs et les Khmères, les Cambodgiens quoi… Kurz
il s’est réfugié au Cambodge.
Cet
incroyable fondu-enchaîne au début c’est du feu au poudre pour un
fondu comme moi. La fumée… L’air qui tourbillonne, les hélicos
qui passent et repassent comme des chiens sans maître… On sait pas
ce qu’ils font là. Les palmiers là dans le fond… Les Blancs et
leur savoir et puis la nature… Comme ça depuis les Grecs mec… Et
puis tout qui brûle ! D’un seul coup absolument toute la
forêt disparue dans les flammes… Mince quoi… On s’est pas
foutus de notre gueule vu comme ça commence le film… This
is the end dit
la chanson… ça parle d’un truc triste apparemment… mais c’est
pas triste. C’est beau.
L’affiche
accompagnée de ce titre étrange avait attiré mon attention enfant.
Est-ce que c'était un film d'horreur, un film mystique? Comme
une porte auprès de laquelle on passe chaque jour sans oser y
entrer je voyais dans l'affiche comme le témoignage d’un
monde disparu, un monde qui avait ce grain de couleur particulier aux
films et photos des années 70. Ce surexposé jauni je veux y entrer
et y vivre, qu’il revive avec moi. Et là de voir ce film, de le
prendre en pleine gueule c’est justement entrer dans la photo, dans
un tourbillon de soldats en absolu liberté dans la nature la plus
verdoyeusement déployée, épanouie en milliers de reflets blancs
sur un fleuve rouge sous un ciel bleu et blanc, la caresse de l’air
le vent chaud sur la peau nue on le sent presque, après le massacre
sur le sampan… Sur l’écran pendant trois heures
défile la plus admirable réunion
d’esthétiques contradictoires. Jim Morrison et
l’armée américaine, la France qui jacte imparfait du subjonctif
et la jungle du bout du monde, les Khmères partisans et un colonel
sorti premier de West Point, Wagner et Kilgore… Ce film parvenait à
réunir deux fibres qui dans le monde de tous les jours, sont
séparées. Quelqu’un a dit un jour que peut être que la guerre du
Vietnam avait eu lieu juste pour que le film Apocalypse Now existe.
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