Ca
se passe à Grenoble dans
les rues piétonnes du centre-ville le soir d’Halloween de l’année
2001. Cyril et moi-même finissons chacun nos cinquièmes 8-6 sur les
marches de « France-loisirs », dont l’horloge indique
trois heures du matin. On bigle un sac rose grand format du magasin
« Jennyfer » traînant par terre. On le ramasse, on le
remplit d’eau dans la fontaine. Bon sang voilà qu’il pèse une
tonne… Nous avons un plan. Ah c’que nous allons rire ! On
prend le sac chacun par une anse et l’on fonce ouvrir une allée
d’immeuble avec la clé de facteur. On prend garde à ne point
renverser d’eau. On monte les escaliers doucement jusqu’au
deuxième étage. On ouvre la fenêtre qui donne sur la rue. On
attend. Quelques badauds rentrent chez eux. Mais on veut des
racailles nous ! On attend. Au bout d’un moment un groupe au
loin. Des racailles ! C’est bon allez allez en position !
surtout ne pas faire de bruit. On hisse le sac… sans bruit… ils
se rapprochent les racailles… On est prêts… attention…
maintenant allez! on renverse le sac cul-par-dessus-tête et
trente litres d’eau se déversent en contrebas, SPLOFF !…
Ils hurlent. On passe la tête pour voir. Y sont trempés comme au
Parc Astérix. La gueule, la veste le futale, tout… Y sont quatre.
Ils tapent dans la porte très fort BAM-BAM-BAM à la moudjahdin
pogromeur« aya
ta grand-mère twâ tu vas vwâr ! »
ils tambourinent énormément… La porte pourvu qu’elle tienne…
Oh putain qu’est-ce qu’on se marre ! Cyril je m’accroche à
lui tellement je ris… Ils sont là en bas ! Et nous en-haut !
Les sales putain de racailles on leur hurle toutes nos cochonneries
rentrées depuis toutes ces années on leur balance tout on leur fait
la totale on gueule plus fort qu’eux nos voix couvrent les leurs…
ils sont là en bas tout fielleux et souillés tout maudissants bras
levés, promettant de nous niquer, toujours des promesses sale
racailleux attends je te crache dessus rrrt
pfuuuhça
te va comme ça ? Sale enkulé d’ton père va… Sur la pointe
des pieds Cyril sort sa bite par-dessus le perron il va uriner sur
eux… En bas ils s’écartent paniqués… Ils vont goûter toute
la variété, la di-ver-si-té de nos secrétions ce soir c’est
dégustation… Oh putain on a peur mais qu’est-ce qu’on rigole…
Un
soir, l’année 2005 au bar-PMU « Central Park Café » nous
entamons la discussion avec un vieux monsieur au comptoir. On ne l’a
jamais vu ici. Il nous dit qu’il est médecin, qu’il est
désormais en retraite, qu’il a vu bien des choses dans sa carrière
et des vertes et des pas mûres… Ah oui monsieur… Il a des façons
surannées, saupoudrant ses phrases de « n’est-ce
pas »
et de « par
conséquent ».
Et puis il s’engage sur une anecdote une légende urbaine, une
histoire de types détraqués présents à Grenoble dans les
années 70 apparemment, des types qui s’amusaient le matin à
déposer n’est-ce
pas,
des bouts de pain rassis dans les toilettes publiques pour venir les
récupérer le soir imbibés d’urine et ainsi les
râcler pour enfin les déguster… Les « soupeurs » que
ça s’appellerait cette affaire. Alors nous on est ébahis, on le
contredit on s’étonne énormément… Mais lui tient dur comme fer
à son histoire « Ah mais j’vous l’assure hein les
soupeurs… les SOUPEURS… » il répète comme ça le mot et
puis voilà qu’un autre retraité à côté confirme « ah si
si les soupeurs ! oui les SOUPEURS ! » et puis encore
un autre renchérit, bientôt dans tout le bar on se passe le mot il
n’y en a plus que pour les soupeurs… Bah ça alors. Des années
plus tard je tomberai sur cette phrase dans Mort à Crédit, bouquin
sorti en 1936 mais dont le récit se passe en 1900-1910 : « Y
avait les lopailles trop vertes pour aller déjà au Bois… une même
qui revenait tous les jours, son truc c’était les pissotières et
surtout les croûtes de pain qui trempent dans les grilles… Il
racontait ses aventures… Il connaissait un vieux qu’était
amateur passionné, un charcutier rue des Archives… Ils allaient
dévorer ensemble… »
Ah bah merde ! C’était corroboré ! De tout temps ça
existait cette perversion là… Et puis en me souvenant dans mon
enfance à moi il me semblait bien avoir vu souvent des quignons de
pain dans les vespasiennes… Je me demandais vaguement ce que ça
foutait là… Je veux en avoir le cœur net alors je fais des
recherches avec « soupeur » sur internet et je tombe
sur ça et
les paroles sont là.
C’est la preuve irréfutable.
Eté
2006, une île du Golfe de Thaïlande.
La partie la plus au sud de l’île, à laquelle on accède à pied
ou en 4×4 uniquement tellement les pentes sont abruptes et
défoncées. Il est 22 heures et l’on dîne sur une terrasse en
bois à flanc de falaise, un promontoire au-dessus du vide. Dans le
bol à un euro c’est tout parfum mêlé d’épices de coco et
citronnelle, le soleil rougeoie là bas en fin de course, la lumière
frappe la colline aux palmiers calmes, carte postale du bout du
monde, « mille baisers » scintillent en reflets sur la
mer. Nos baguettes maniées avec dextérité vont et viennent
machinalement à la bouche, on contemple et savoure. Le paysage on le
mange on le goûte par les cinq sens. Nous n’avons jamais vu ça.
Nous sommes à Ko Tao.
Paris,
samedi 10 Avril 2010 à 6 heure du matin.
Au passage-piéton trois racailles nous précèdent et l’un lâche
une insulte à la volée. Qu’est-ce qu’on fait ? Ils sont
trois, moins grands que moi mais plus que Gyom. Allez on y va. Ce
n’est pas très malin, mais on est chauds et bien mûrs d’une
tournée de bars. Paris-Beaubourg, un petit 2 contre 3 s’engage. A
mon instigation car je vois rouge lorsque les répétées dénégations
de l’insulteur à qui l’on demande des comptes tournent au
mensonge évident. Il nous prend pour des cons le jacteur. Je pense à
Grenoble, aux racailleux là bas qui mettaient la misère aux
Caucasiens et qui se dépêtraient avec fourberie lorsqu’ils se
faisaient prendre. Celui là essaie de se défiler et ça met le feu
aux poudres de mon bras gauche. Alors les salves fusent du canon de
bâbord, poings traçants qui cherchent la tête dans la nuit,
crochets contourneurs de son pote qui s’interpose et me griffe à
la joue. 4 coups au but en hurlant des choses les font déguerpir.
Gyom me tire par le bras et l’on se garrave par les rues
perpendiculaires. Vent froid sur les joues, on ne dit mot, c’est le
silence des essoufflés dans la nuit glacée. Enfin l’on s’arrête
épuisés les mains sur les genoux on halète, et Gyom les yeux dans
le vague droit devant lui dit seulement « Mec c’était
dingue… tout en le cognant tu répétais « Tu
vas pas me la faire ! Tu vas pas me la faire ! j’m’appelle
Lounès Darbois-Beaumont ! j’m’appelle Lounès
Darbois-Beaumont ! » comme
ça… Pourquoi tu gueulais ça mec? C’est qui ce
Lounès ? »
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