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mardi 11 août 2015

23.04.2009 - Jeudi soir j'arrive chez moi

Je referme la porte derrière moi, enfin seul. Encore seul. J’ai traversé Paris plein de gens riants avec des bouclettes et des mèches au vent de début de soirée de premiers soirs d’été… Pour tant d’entre eux c’est sûrement le grand soir, ils s’en vont retrouver Mariline, Annabelle, Sylvana…
En bas du 90 je dis au revoir à mon père. Avant de monter dans sa Twingo il me dit quand même, désolé, que j’ai l’air de filer un bien mauvais coton et qu’il ne sait pas quoi dire. Je lui dis au revoir. J’ai les bras encore un peu fatigué du lit de la grand-mère qu’on vient de descendre. Elle a sans doute dormi dedans pendant 40 ans. Il nous a fallu cinq minutes pour descendre le machin par les escaliers et l’exposer sur le trottoir.
A pied je remonte l’avenue Mozart et je pleure la tête baissée, je ne veux pas qu’on me voie. Et c’est bien confortable en fait, il faudrait toujours que je fasse comme ça dans la rue. Tête baissée, complètement dans mon monde. Comme ça je ne verrai pas les jolies filles qui me font si mal, ni les bogoss qui me font si moche.
Enfin j’y arrive à pleurer. Je devrais pleurer tous les soirs depuis un an normalement mais ça ne vient presque jamais. Mon quotidien ici est un désastre, un ratage un gâchis continu. Je suis complètement à la remorque, je n’ai plus le choix il faut travailler, j’ai pris ce job, il faut continuer c’est tout. Perte de temps au travail, et zéro fille zéro rencontre zéro ami. C’est pas donné le 2500 euros par mois. Qu’est ce que je donnerai pas pour une fille. Même une pute n’importe. J’en suis là, y a pas de problème. C’est l’histoire de Lounès le bâtard qui rentre chez lui seul après sa journée de pseudo-trader boulevard Haussman et qui boit 2 litres de Heineken avant de passer à table. Façon de parler pour un plat de pâtes au thon bouffé à même la casserole en regardant pour rire un peu la dernière conférence de Kemi Seba sur dailymotion. Ensuite y a un vague film, si possible « de droite » genre un Scorcese. Et puis lecture d’une page au hasard d’un Céline ou d’un Rimbaud et puis écrasage dans le lit jusqu’au lendemain.
Moi je le sentais bien que ça puait de faire des études, de « bosser ». Tout ça pour ça. C’est pour ça que dés que j’en ai eu l’occasion je me suis accroché à l’étranger de toutes mes forces comme un réfugié politique raté. A Hong Kong c’était cool. Petit salaire mais grandes rencontres, grands paysages, grands espoirs… Je m’y suis accroché à ça putain… Presque 2 ans à bosser là bas et ils voulaient toujours pas le lâcher leur putain de visa de travail. Je faisais les allers-retours à Macao toutes les 7 semaines, re-tamponnage de passeport et re-pénard pour un moment… Et puis il a fallu dégager. Je me souvient dans le bus de l’aéroport, quand il s’est engouffré dans le tunnel qui rattache l’île de Hong Kong et l’île de l’aéroport j’ai eu ce flash, un instantané de vérité, de coercition immanente par delà bien et mal : ça ne se représenterait plus jamais.
18 mois que je ressasse ça. A la faveur d’un jour de travail plus difficile que les autres, au hasard d’un de ces crachas à la gueule que sont les « non » des acheteurs, les haussements d’épaules des collègues et le port altier des rares jolies filles qui composent mon univers, au hasard de ces aléas je peux le soir me retrouver dans cet état indescriptible mêlé de douleur de frustration de bouillonnement et d’épuisement.
Toutes ces fois ou j’ai été sauvé de la solitude, adolescent. Il s’en est fallu d’un rien. Par exemple si ce soir là précisément je ne l’avais pas croisée en sortant de l’Eglise jamais je n’aurai baisé comme ça avec une fille, ce petit souvenir qui me tient quand même un peu chaud jusqu’à aujourd’hui. Si cette année là tel ami avais quitté Grenoble comme il aurait dû, me laissant en plan, jamais je n’aurai fait avec lui toutes ces fêtes de rues bordéliques avec des 8-6, des Maximator et des filles rencontrées vite et qu’on aime comme des Rimbaud ratés qui s’ignorent.
Comme la France sauvée à chaque fois in extremis par l’homme providentiel, Lounès était sauvé in extremis par le hasard. Quand ça a été Hong Kong ça a été trop, je me suis dit « mec c’est pas le hasard c’est pas possible c’est la Grâce. Je me préparais à une vie de merde en France de mec complètement pommé et voilà que m’arrivent dans les mains toutes les clés du bonheur, cet endroit est un concentré de tout ce que j’ai toujours aimé et pourtant j’y suis arrivé totalement par hasard, donc ce n’est pas un hasard c’est une Grâce de D. ».
Comment encore accepter de se livrer aux aléas, au hasard, après avoir cru connaître la Grâce ? Piégé dans le mysticisme gluant de celui qui croit avoir « compris la vie », enfermé malgré soi dans des certitudes qui ne font pas le poids face au réel, que valent les diatribes de Léon Bloy, toutes incantatoires soient-elles, face au triomphe obscène, indiscutable, chaque jour recommencé, des « adaptés » de ce monde ?

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