Au
bureau j'ai reçu un e-mail avec ça:
Position
|
Name
|
Country/Office
|
Billing
|
1
|
HARTMANN
Stöjg
|
South
Africa/CAPE TOWN
|
£911
257
|
2
|
SCHTADTHAUSER
Mathilda
|
Germany/DUSSELDORF
|
£644
586
|
3
|
HARRALDSSON
Inge
|
Sweden/STOCKHOLM
|
£574
511
|
4
|
WALTON
Alistair
|
England/STOKE-ON-TRENT
|
£572
282
|
…
|
…
|
…
|
…
|
58
|
JAUMIN
Vincent
|
France/PARIS
|
£181
965
|
59
|
DARBOIS-BEAUMONT
Lounès
|
Belgium/BRUSSELS
|
£177
453
|
C’est
les noms céfrans qui rapportent le moins de thune faut croire. C’est
officiel je suis le dernier des « meilleurs ». Comme me
dira un ami au téléphone je suis le « moins kiffant des plus
kiffés ».
Quand
ils ont réalisés le truc les autres de mon bureau, mes
« collègues », ils m’ont regardés bizarre… Surtout
Fawzi et Boukrah ils l’avaient mauvaise, ils plaçaient des petites
piques « moi j’irai un jour à Vegas si je l’ai mérité »
qu’elle a dit Boukrah pincée.
Ainsi
pendant quatre jours on va tout nous payer, on va nous lustrer, nous
combler absolument. ''On'' c'est à dire le Directeur de l'entreprise
pour laquelle je travaille, le « CEO ». Il nous emmène à
Las Vegas tous frais payés, avion-hôtel-restau, absolument tout
jusqu'au moindre verre, la moindre fantaisie, nous serons entièrement
défrayé c'est promis, nous les 59 employés sur environ 2000 de par
le monde, ceux qui ont rapportés le plus de thune à leur bureau
pendant les 12 derniers mois. D’habitude je ne gagne jamais à ce
genre de truc.
Modeste
hère repêché par un yacht de riches je suis plutôt en 2ème
division par rapport à ces Hartmann ces Walton ces machins … Ces
gens là ont comme moi dans les 27 ans mais eux sont habitués
à la thune et aux récompenses. Grâce aux montagnes de fric
qu’ils rapportent depuis des années à la boîte et aux
commissions qu’ils touchent, ils habitent dans des maisons et
roulent en voiture allemande, y a même un Croate qui s’est acheté
un bateau, on avait eu la photo sur l’Intranet. Je ne connais
encore aucun de ces types. Sûr que c’est des gros enculés. Il
n’est pas possible de réussir au sein de cette boîte si tu n’es
pas un gros enculé.
On
fait connaissance dans un 747 de Virgin Atlantic qui nous emmène à
Las Vegas depuis Londres ou l’on a fait une escale préalable pour
tous se retrouver. On se serre la main autour d’un verre. Les types
sont déjà déchaînés, empressés pour l’alcool, ils sortent
leurs cartes de crédits, ils veulent payer eux-mêmes, ca tourne au
défi… Et a grand renfort de Visa Infinite et Amex Black tenue
entre deux doigts ''nan laisse c'est bon c'est pour moi…''. Toutes
les bouteilles de Veuve Cliquot de l’avion y passent. Puis
celles de Gin. Puis de Whisky. Puis vodka, rhum, bière… ça pille
toutes les réserves, ça paie tout, ça gueule dans l’avion en
allemand en céfran en flamand en chinois, toutes les langues de
Babel, personne ne peut dormir c’est un effroyable scandale…
Lorsqu’on arrive au-dessus du Groenland, l’avion n’a plus une
goutte d’alcool à vendre… Ding ça tinte…Sonnerie pour
avertir des turbulences… La superbe très aryenne hôtesse Heather
(c’est écrit sur son badge) tout en yeux verts et vénitienne
blondeur me dit qu’il faut regagner ma place… Je suis un peu
bourré et elle apparaît comme une égérie du quattrocento, j’ai
pas vue une fille comme ça depuis le lycée. Elle rit, elle est
admirable cette Heather, je la regarde lorsqu’elle s’occupe
passionnément des autres passagers, s’approchant très près
lorsqu’elle n’a pas entendu s’ils désirent du thé ou du café…
Elle est tellement au-dessus du lot, blanche colombe intouchable même
par les haleines pourries des passagers qui ont des heures de sieste
de gros porc dans les pattes, quel admirable îlot de beauté elle
fait dans un monde de laideur… Il en restera des comme ça dans 30
ans de métissage infâme ? Et dans cent ans ? Ou va le
monde ? Hein ? D’après mes calculs je sombre dans le
sommeil à peu près au-dessus de Fargo, la ville du film éponyme.
On
arrive à Las Vegas complètement déphasés, ou est le jour, ou est
la nuit ? 14h00 heure locale. Des limousines nous emmènent au
Casino-hôtel « Encore Wynn ». On traverse un long
boulevard… par la fenêtre on ne sait plus ou s’extasier
davantage sur les vanités terrestres étalées là devant nous :
des châteaux, des Paris, des Venise tout reconstitués, des îles de
pirates, des cirques des temples romains, des écrans de 20 mètres
sur 20 des lumières, des tours, des machins… Mpff ‘vais vomir
moi… C’est le rhum « Negrita » qu’est pas passé…
le Negrita… rien que de penser au nom m’sens pas bien…
On
nous débarque à l’hôtel… C’est un palace invraisemblable,
tout moderne tout luxueux tout décoré, y a des papillons en dessin
sur la moquette, des lustres des moulures, des 15 mètres de plafond,
des machines à sous tout partout qui font des bruits féériques
pour t’attirer à jouer, des tables de poker, de black jack, des
tas de bars extrêmement fournis en alcools et tout en haut, qui
sortent par des conduits d’aérations des diffuseurs d’oxygène
pour que tu restes éveillé, que tu gardes la pêche et dépense
tout plein ton fric… Check-in… La chambre qu’on m’a réservé
est au 51ème étage…
A
partir de ce moment les souvenirs commencent à devenir un peu flou,
l’alcool et la fatigue ne faisant que monter et se maintenir
pendant tout le reste du séjour. Cela dit nous nous souvenons :
>
Avoir pris une douche et s’être dirigé vers un bar du
rez-de-chaussée. Là je retrouve Joséphine une nana d’un bureau
de France que je connaissais à Paris. Elle est d’origine libanaise
chrétienne, est trop bonne et a cette alchimie de volonté et de
sensibilité que j’aime chez les gens, trois éléments qui me la
rendent fort sympathique. Cette nana c’est ma « sœur ».
Le CEO est là et c’est lui qui paie, on s’accoude au bar et on
enquille des tas d’alcools « all
expenses paid ». On est
bourrés, on éclate de rire, on est des privilégiés, y a des
papillons partout c’est l’emblème du casino, ça clignote, ça
sort des tas de dollars pour payer, rien à foutre c’est pas ma
thune c’est celle d’un millionnaire en livres sterling. Y a des
tas de types de l’entreprise de partout maintenant, ça virevolte
autour des chaises hautes du bar… C’est le triomphe des rustres…
Ca y est c’est Las Vegas. Y a un « move » vers une
boîte. Faut tous qu’on aille au « Tao » dans un autre
casino plus loin, c’est réservé pour nous… Bien. Avec Joséphine
on traverse une galerie commerçante jalonnée de Dior et de
Breitling, on s’esclaffe pour rien, on jubile on « délire »
comme des collégiens sous shit… il est minuit heure locale, les
autres prennent des taxis mais nous on ne connait pas l’adresse…
On réquisitionne un tacot « Suivez cette voiture » qu’on
gueule, faut pas perdre les autres de vue… Le chauffeur est un
WASP, il nous déteste en deux secondes, dit un truc sur les
Français, on est déjà arrivés… L’aurait fallu pouvoir
davantage causer avec lui, échanger, lui expliquer tout Montcalm et
tout Céline, le convaincre énormément… Pas le temps on paie au
revoir. On arrive au « Tao » la boîte ou la gouape Tiger
Woods s’est fait chopé pour adultère, c’était marqué dans un
journal au casino. On nous installe dans une sorte de salon en
hauteur ou tous les alcools sont à volonté… Sur une table il y a
un stock de 15 bouteilles différentes renouvelé en permanence… Ca
fait 12 heures que je suis à las Vegas, j’ai encore pas dépensé
un centime et compte bien continuer sur cette lancée… Alcool…
Nanas avec des gros seins… Trou noir… Je me revois par bribes
plus tard quitter les lieux, me perdre dans des escaliers de secours,
descendre des tas d’étages, valdinguer dans des parkings, des
cuisines, des arrières salles, un labyrinthe un dédale interminable
de marches, de salles, de salles de stockage, tout l’envers du
décor, les coulisses blafardes du casino, tout au néon… Un
employé me demande ce que je fous là, m’indique la sortie, je
marche dans le froid jusqu’à l’hôtel… Ascenseur, chambre,
m’affale enfin…
>
Avoir eu un réveil difficile à 5 heures du matin… Dans le noir
j’appelle le room service et me plains terriblement du fléchage
qui n’est pas clair dans les casinos. J’ai failli me perdre dans
votre bordel monsieur ! La nana au bout du fil ne comprend rien,
je suis encore complètement bourré, j’ai faim, je commande un
Cheeseburger, des frites et des Coronas… Un Chinois m’apporte
tout ça sur un chariot et je mange comme un gros porc en regardant
le rodéo sur une chaîne spécialisée dans le rodéo... Mince ça a
l’air dur de tenir sur le cheval… Je descends, vais me promener
dans la rue. Il fait super froid et mauvais temps à las Vegas ville
connue pourtant pour ses 250 jours de beau temps par an. Je vais du
mauvais côté de la ville. Le long de boulevards infâmes je croise
tous les nécessiteux de la ville du fric… Des clochardes noires
tarées qui font les poubelles, des sortes d’indiens derrières des
échoppes préhistoriques « visit Las Vegas » qui ne
donnent pas envie, des WASP gros dans des boutiques de souvenirs qui
foutent le blues tellement c’est glauque, éclairé au néon,
fatigué… Putain le décalage… Mes pas me mènent jusqu’au
vieux Las Vegas, le centre historique des casinos, là ou s’est
forgée la légende de la ville, là ou se trouve la tour, et surtout
le « Rivieira ». Dans « Casino » de Scorcese
à un moment Sharon Stone parle du «Rivieira ». Même que ce
film est une de mes absolues références parce que c’est une
allégorie biblique (Adam et Eve chassés du paradis) couplé à une
mise en scène de génie qui recrée un monde disparu. A Grenoble à
l’époque je soûlais tout le monde avec ce film. Et là me
voilà devant le « Rivieira ». Alors je rentre dans le
« Rivieira » pour voir la légende, déjà que
j’hallucine qu’il soit encore là ce Casino, le Stardust par
exemple ils l’ont pétés… Eh ben le « Rivieira »
c’est pas joli joli… Des vieilles moquettes défraîchies, des
vieux croupiers fatiguées en nœud papillons qu’on dirait des
rescapés de l’époque du film, les années 70, ou des personnages
du jeu « Streets of Rage » sur Megadrive, tout plein de
luxe certes, mais à un « standard » inférieur au reste
de la ville, ce qui automatiquement fait « cheap ». Ca
fout le blues… comme un décor qui a pas changé alors que l’époque
a changé. Plus tard j’entre dans un Macdo ultramoderne qu’on
dirait un multiplex de cinéma tellement c’est grand, et y mange
d’importantes quantités. Ainsi extrêmement lourd et perclus du
typique sentiment d’écœurement post-macdo je rentre au Casino. Y
croise des tas de types de l’entreprise, et Joséphine, qui me
raconte comment elle a « pécho » un type qui l’a
ramené en Hummer de la boîte « Nan mais tu vois on est arrivé
dans la chambre, y avait ma roomate qui dormait alors on est allés
dans la salle de bains, il s’est mis direct à poil, on a tapé
plein de coke et on a baisé par terre mais super fort tu vois ?
C’est sûr que l’autre elle a entendu, je savais plus ou me
mettre après… ». C’est trop une romantique Joséphine.
Ascenseur, chambre, m’affale…
>
Avoir été réveillé dans un désagréable état d’angoisse, il
faisait nuit, et m’être un instant demandé quelle était cette
ville étrange dehors par la fenêtre. 3 heures du matin merde. Me
fais couler un bain, regarde à la télé murale l’émission
« Cops » avec les vidéos de flics américains arrêtant
des fuyards… Le service room fonctionne même la nuit. Je commande
encore un cheeseburger et des frites. M’en fous tout est payé…
La tête renversée en arrière, léger bruit de clapotis du bain, je
suis seul et à l’aise. A l’aise car enfin libéré de ces
Boukrah-Bledah-Cauchemardah mes collègues de bureau, des gens très
inélégants et prétentieux, indécrotablement « pensée
automatique », très « cheap ». Du genre à trouver
scandaleux le vote contre les minarets et à se chamailler pour
savoir qui a passé le plus de temps dans la BMW M5 du boss pour
aller visiter des clients. Dans Voyage
au bout de la nuit y a un passage
qui décrit comment des patientes s'engueulent sur la puanteur
comparée de leurs merdes lorsqu'elles vont à la selle, assurant à
l’autre que leur merde pue davantage. Je bosse chaque jour avec des
gens comme ça. Toute l'année astreint à résidence, gentil petit
employé de bureau contraint à cordialité avec des horribles
collègues, coercisé de partout, étroitement tenu en respect par
l’espoir de gagner de la thune en persévérant et le risque de la
ruine et du déclassement en envoyant tout chier, la carotte et le
bâton… Mais là d'un coup on est libéré de tout cela, on entre
dans une autre classe sociale, celle des gens qui échappent au monde
du travail. Faut pas se laisser prendre au jeu, faut bien garder les
pieds sur terre, comprendre que bientôt la vacherie recommencera,
rester assuré que toute cette féerie n’est qu’un sursis…
> Avoir
entendu le réveil sonner… 11 heures merde… Me douche et
m’habille en vitesse… Faut aller au « shooting range »…
C’était prévu… On nous a réservé 30 minutes chacun dans un
stand de tir, à toi de choisir l’arme avec laquelle tu veux
tirer : Beretta, M-16, M-60, ak-47, Styer Hawk, Tech-9, ce que
tu veux… Au Cambodge y a quelques années j’avais tiré avec un
fusil à pompe, là je voudrais bien essayer un truc à rafales...
Kalach’ ou M-16 ? Voilà la vraie question philosophique
d’actualité puisque ton choix te range forcément dans une case…
« sioniste » ou « anti-sioniste »… Pour
tout un tas de raison je choisis le M-16… Un gros aryen à chapeau
de cow-boy m’explique comment virer la sécurité mais je lui dis
que merci j’ai vu « Platoon » j’connais moi… Je me
sens plus péter… Je vide 2 chargeurs sur une cible représentant
un malfrat cagoulé. La crosse du machin te revient dans l’épaule…En
1871 quand les Versaillais ont reconquis Paris les soldats foutaient
les suspects torse nu pour vérifier qu’ils aient pas de trace sur
l’épaule droite… Si ils avaient une trace cela signifiait qu’ils
avaient tirés avec un fusil et donc étaient communards… En tirant
au M-16 j’ai pigé… Une arme à longue portée ça a une putain
de nervosité, un putain de recul qui te revient dessus à t’en
faire mal, autant dire qu’il vaut mieux se muscler et
s’entraîner si tu veux viser juste… Mes deux chargeurs sont
écoulés faut que je dégage… On nous a prévu une autre activité…
On grimpe dans un bus qui nous emmène à l’aéroport… De là on
monte dans un hélicoptère, 7 par appareil… On fait connaissance
avec notre pilote, ancien militaire, pilotait des « Black
Hawck » dans la première guerre d’Irak en 1991… Il est
plutôt sympa le bonhomme, on l’accable de questions comme des
racailles à une star croisée dans le métro et il répond à
chacune en WASP flegmatique… On décolle, on se barre de la ville
et on survole le désert puis le grand canyon avec « browned
eyed girl » dans le casque, et on fait tous « La la la la
la » lors du refrain, magnifique apesanteur, ô temps suspend
ton vol… On survole comme ça des kilomètres de Canyon, plus de
musique, silence total dans l’appareil on est abasourdis… Paysage
lunaire… Dans les micros-casques on parle de la guerre avec le
pilote… a-t-il déjà reçu des rafales ? Oui. A-t-il déjà
tué ? Non… Plus tard au bureau quand je raconterai cet
épisode, la face de rat collègue intitulée Fawzi s’écriera
pharisien : « pilote de guerre en Irak ? Ah ouais
encore un qui ira en enfer ! »… Seigneur pardonnez leur
ils ne savent pas de quoi ils parlent… En attendant on survole le
désert, une immensité jaune et puis rouge ou pas âme ne vit à des
kilomètres à la ronde… « c’est ici que Total Recall a été
tourné » nous dit le pilote en désignant un endroit sur la
gauche et on le croit sur parole… Et puis on fait demi-tour
(demi-tour en hélico à 700 mètres d’altitude au dessus d’un
canyon c’est quelque chose) et on retourne à Vegas. Après des
plombes la ville émerge de nulle part, corroborant absolument le
poncif « ville bâtie au milieu du désert »… On
survole l’incroyable disneyland de tours et de casinos et on se
pose… C’est déjà fini, comme tout ce qui est agréable. Je
rentre à l’hôtel, croise dans le hall à une table de Poker des
Allemands de ma boîte que j’ai vu là il y a plusieurs heures. Ils
me disent juste qu’ils font une partie continue depuis 14 heures
non-stop et que l’un d’eux a perdu 5000 dollars… Ben merde
alors…
> Avoir
eu des retrouvailles avec les 59 connards gracieusement invités dans
un magnifique restaurant du Casino avant d’aller au XS, la boîte
la plus chère du monde. Au resto je m’attable avec Joséphine et
des tas de céfrans de la boîte. Chacun parle de son parcours
personnel, je raconte le mien brièvement, Grenoble, Nhatrang,
Hongkong etc… et à ma grande surprise je deviens le point
d’attraction de la table, tous les regards tournés vers moi, on me
pose des tas de questions, on s’intéresse on s’enquiert beaucoup
de mon point de vue… Les gens me trouvent « cool », me
disent des choses gentilles… Cela ne m’est plus arrivé depuis
des années… On parle du fait de sortir, se saper ou ne pas se
saper… Joséphine n’apprécie pas le saumon au safran « ça
a pas de goût… ‘tain merde ! »
Commente-t-elle énervée…
La
discussion bifurque sur les mérites comparés des mentalités des
filles asiatiques et européennes dans leur rapport aux mecs. « ils
savent pas cuisiner chépa… »
qu’elle s’indigne encore dans son coin… On finit tous
par convenir que la femme idéale serait une mentalité asiatique
dans un corps de caucasienne…« Eh
mais c’est super dégueulasse quoi !»
qu’elle s’exclame Joséphine en tapant sur la table, ce qui
provoque un gros bruit de couverts.
On
est dans un resto de palace et elle gueule, tout le monde se marre un
bon coup… A la table d’à côté y a deux allemandes de la
boîte qui me sourient quand je leur souris à chaque fois que je me
lève pour accompagner les autres fumer… Marina Koestler et
Mathilda Schtadthauser… Je pense alors à la vie des « beaux
gosses »... Eux leur vie c’est comme ça tout le temps. Ils
sont à une table de resto, et la meuf qu’ils niqueront le soir
même leur sourit déjà. Ils la recroiseront en boîte plus tard,
lui parleront avec beaucoup d’aisance, la ramèneront avec aisance,
la niqueront avec aisance, se sachant quoi qu’il arrive aimés, se
sachant quoi qu’il arrive beaux… « Eh Darbois t’es avec
nous ? » me demande quelqu’un… Pardon je cogitais…
Plus tard au XS la fameuse boîte la plus chère du monde selon la
légende, on est tous là squattant un « carré vip »
ravitaillé à volonté en alcool… L’établissement est plein à
craquer de centaines de salopes en minijupe en contrebas dans la
fosse…
C’est
le dernier soir, demain on reprend l’avion. On se met tous des
rinces déraisonnables, le monde flotte autour de nous, dense
atmosphère de salopes en leggin et décolletés qui mènent aux
seins, de bouteilles variées et de sons RnB du moment… Je déteste
les boîtes mais là c’est le bonheur il faut le dire… Surtout
que les deux allemandes Marina et Mathilda respectivement bouclée
brune au visage très « biche » et poupée longiligne
extrêmement blonde m’élisent leur coqueluche de la soirée
m’invitent régulièrement à danser collé-serré « en
doublette » entre elles deux et me câlinent énormément…Je
les appelle les « baby doll ».
Le
« CEO » règle à la barmaid une note de mi-soirée. Sur
le lecteur de carte bancaire je peux lire par-dessus son épaule un
montant en dollars : « 8174 ». Son assourdissant,
clignotage de loupiotes, sueur et cris chuchotés à
l’oreille…Thomas, un céfran du dîner me chope ivre par le cou
et désigne la foule qui danse en contrebas, il tient absolument à
me montrer quelque chose: « TU VOIS ! NOUS ON EST LA ON
EST DES KINGS ! ET EUX EN BAS ILS SONT LA !... ON LES
ENCULE !... C’EST CA MEC !... »… Certains
ont l’alcool mauvais, lui il l’a tout en finesse et métaphores.
Faut que j’aille au toilettes, tâchant de m’extraire de la
fourmilière je me cramponne plus ou moins à des bras et à des
seins de passage… Les toilettes ça y est… Dedans c’est plein
de larbins indiens payés au pourboire… un larbin dans mon dos me
brosse la veste pendant que je pisse…
Au
lavabo, même pas le temps de chercher des serviettes pour s’essuyer
les mains car un type me tend des serviettes « make yourself at
home sir ! »… Puis il me montre un étalage rempli de
parfums… « some perfume sir ? » ils ont même
Aqua di Gio pour remédier à la transpiration. Et des tas de lotions
pour la peau et tout. Gratos. Ils pensent à tout ici c’est fou. De
retour sur le dance floor il faut bien appeler les choses par leur
nom, ce séjour à Las Vegas se termine dans une apothéose de nanas
ravies fines du nombril et bouches en cœur, leggin et jambes qui
vont avec, et vernis au millimètre, verres brandis en l’air à la
santé d’on ne sait qui, lorsque retentit la chanson « empire
state of mind » un machin RnB inconnu au bataillon, ça vient
juste de sortir apparemment…
Mille
personnes de la boîte tous bras levés, « New York New
York…. », les allemandes à mes bras, Marina écrase ses
seins contre mon torse et m’assure que je dois venir chez elle, la
merderie du quotidien au bureau autant dire que c’est bien loin,
mince c’est si facile tout d’un coup… C’est l’année 2009
qui se termine, « New York New York », on en a chié
terriblement cette année (cf pages précédentes de ce blog), c’est
la communion des riches, tiens voilà Joséphine qui me prend dans
ses bras aussi « darboooois ! » grâce au fric dont
on a plus à se soucier tout le monde s’aime, l’émotion est
portée au plus haut comme ces verres au bout des bras levés, forêt
de bras et de verres levés, épaisseur de l’air chargé de la
musique, exultation, communion, à en délirer absolument… C’est
de ça qu’on manque dans nos vies… L’émotion… c’est trop
j’en tourne Madeleine… On est fait pour être des gens ensemble
qui cheminent dans une direction commune que je me dis, avec un but
commun, et on a besoin ensemble d’exulter de tout se pardonner, de
se trouver mutuellement formidables, exactement ce qui se passe à ce
moment précis… C’est d’Eglises pleines que l’on manque, de
chants grégoriens et de Gospel, de transes et de pleurs, de
béatitude et d’agenouillement, on en manque on en crève on ne
veut pas vivre ainsi comme des cochons en porcherie, amputés en
esprit… On a faim on veut des nourritures spirituelles, des
Amériques à découvrir, « these
streets will make you feel brand new, big lights will inspire you »
qu’elle dit la chanson… C’est assez fort comme moment, faut
l’écouter pour se faire une idée.
Moment
exutoire, défouloir comme si PSG gagnait au tir aux buts, l’alcool
et le stade, eucharisties de substitution, les péchés des Blancs
qui errent dans le monde coupé de transcendance, parce que ce monde
ne croit plus, parce qu’on ne sait plus comment croire… Mon Dieu
faites que ce moment si alcoolisé soit-il serve à nous montrer
qu’il vaut la peine de vous chercher… Enfin merde peut être que
je délire que c’est l’alcool, mais je veux croire que depuis
2000 ans les hommes ont communiés dans des églises dans des
prairies, se sont repus de fêtes, de catharsis, d’adoration, de
veillées, de succion directe de la moelle de la vie, d’aspergement
d’eau bénite, d’orgasme de l’esprit, de rassasiement… Et que
tout ça ils le faisaient sans alcool et que ce qu’ils ressentaient
ensemble était au moins aussi fort que ce que l’on vit ici et
maintenant… La vie ça va si vite… On a déjà 27 ans, moi et
tous ces cons tout autour pleins de sourires et de décolletés et de
dollars… On vit des choses incroyables et le lendemain déjà l’on
ne s’en souvient plus, mais si plus tard un camarade te remémore
le souvenir cela suscitera à peine un petit « ah mais ouais on
avait fait ça! » surpris… Pourtant ce moment a existé.
Devant moi des tas de types se tapent dans la main ravis, des tas de
nanas se font des bisous, je me sens bien aimé, impression de
flotter… Alors avant de redescendre sur Terre, avant de prendre
l’avion demain et de me baigner à nouveau dans l’effroyable
tumulte du monde du travail, avant que la saloperie ne reprenne son
plein droit, il reste encore à écouter le dernier refrain qui dit
« New York New York » …
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